Avec à l'heure actuelle plus de 200 critiques sur le dernier ovni de DC Comics, difficile de proposer une nouvelle analyse. Le jeu dérangeant de Joaquin Phoenix, le nihilisme de l'oeuvre, l'absence de mantras super-héroïques... Les excellentes proses ne manquent pas, les notes sont élevées - à juste titre - même si j'ai un certain nombre de réserve à émettre. Mais la mise en scène... Et quelle mise en scène!
Todd Phillips, le grand manitou de la comédie potache s'est métamorphosé en prince de la scénographie. Son Joker est un virtuose de la caméra, un choc visuel ou chaque plan est ciselé en une danse macabre, un long travelling de solitude et de névrose dans un Gotham macabre qui n'est pas sans rappelé Taxi Driver ou Soleil Vert. La folie et la crasse suinte de ces murs de bétons, les amorces de champ sont hallucinantes d'inventivité, la lumière ajoutant une touche ultime au sordide et au chaos. Un Lion d'or à Venise je ne sais pas mais un Oscar de la mise en scène, oui alors!
Cette réalisation aux petits oignons permet de cacher les défauts du film. Une certaine linéarité dans le scénario, un Joaquin Phoenix parfois cabotin, un manichéisme à outrance, une singularité dans l'ensemble qui place l'oeuvre trop à part dans l'univers des super-héros. Difficile d'imaginer ce Joker s'accommoder avec les prochains DC!
Mais on ne peut que saluer le chemin emprunté, celui d'un raté venu de nul part, ignoré des hommes et haï de soi-même, une tumeur qui se propage dans un monde désenchanté ou la morale se veut confuse voir oublié. On prend ce Joker en pitié, un super-vilain malgré-lui qui tente de faire résonner son rire pour oublier sa propre tristesse.
À vouloir propager le rire, on est obligé de prendre Todd Phillips au sérieux. Son film quoique maladroit dégage une folie insensée, son acteur un malaise déstabilisant, le mythe du Batman est sérieusement écorché et il saigne des larmes d'un rire névrosé dans un monde malade. Let's smile!