Portrait d'un Ego

En lisant le titre de cette critique, je devine facilement que la majorité d'entre vous se demande « c'est quoi Jodorowsky's Dune ? ». Si le nom de Dune vous est probablement familier, c'est parce qu'il s'agit d'un des plus grands cycles littéraires de l'histoire de la science-fiction écrit par Frank Herbert. Même si la plupart d'entre vous ne l'ont probablement pas lu, vous en avez peut-être vu son adaptation cinéma réalisée par David Lynch ou joué aux jeux vidéo qui s'en sont inspirés. Le nom de Jodorowsky vous est par contre certainement moins familier. Les fans de B.D. le connaissent car il est à l'origine de séries cultes comme La Caste des Méta-Barons ou l'Incal. Mais les plus cinéphiles d'entre vous savent probablement qu'avant cela, l'homme était un grand réalisateur. On lui doit entre autres les géniaux El Topo et La Montagne Sacrée, des films totalement fous qui sont devenus aujourd'hui ultra cultes. Mais quel est donc le rapport entre Dune et Jodorowsky ? Et bien sachez que dans les années septante, Jodorowsky a été tout près de réaliser une adaptation du roman de Frank Herbert. Le projet n'a finalement pas abouti et l'on cite depuis ce Jodorowsky's Dune comme étant le plus grand film jamais réalisé. Et c'est justement un documentaire sur ce film, que nous ne verrons jamais, que nous propose Jodorowsky's Dune.
Je suis sorti de la projection du film avec un étrange sentiment. J'ai été mitigé sur deux tableaux, dans un premier temps, sur le documentaire en lui-même et ensuite sur ce qu'aurait pu être cette adaptation de Dune si elle avait vu le jour. Concernant le documentaire, je ne peux que saluer la démarche car il est tellement rare d'avoir droit à des retours sur des projets non aboutis. Nous avions eu par exemple, il y a quelques années, Lost in the Mancha qui revenait sur les galères ayant coulé le projet de L'Homme qui Tua Don Quichotte de Terry Gilliam. Mais, étrangement, ces sujets à la fois hautement cinématographiques et passionnants font rarement l'objet de documentaires. Si le sujet est bien entendu fascinant, je regrette un certain manque d'audace. Car au-delà de l'histoire d'un « non film », j'ai personnellement surtout vu celle d'un égo ... Car soyons honnêtes, le projet tel qui nous l'est présenté, n'aurait jamais pu voir le jour. Ce dont il est question ici, c'est de la personnalité de Jodorowsky. Un artiste, il est vrai génial, dont la vision qu'il a de son talent et de ses ambitions sont totalement démesurés. À plusieurs moments, le film nous montre cet aspect de l'homme qui voyait en son film le nouveau messie qui changerait la face du monde (ce sont ces mots, rien de moins ...) et qui n'a pas hésité à sacrifier deux années de vie de son fils de 12 ans pour son projet, mais c'est systématiquement survolé et caressé dans le sens du poil. C'est dans ce portrait qu'il fallait se montrer audacieux.
Concernant ce qu'aurait pu être cette adaptation de Dune, si elle avait réellement vu le jour, je reste tout aussi circonspect. J'ai, comme beaucoup de cinéphiles, fantasmé des années sur ce qu'aurait été ce film et je suis sorti de la salle en me disant : « Et bien ce film aurait certainement été mauvais... ». Si certaines idées de mise en scène étaient remarquables, comme le plan qui était prévu pour l'ouverture, elles étaient tout simplement irréalisables à l'époque. De plus, Jodorowsky, ne voulant travailler qu'avec des génies, s'était entouré d'une équipe qui se serait très vite montrée ingérable. Comment aurait-il été possible de concilier, autour d'un même projet, des personnalités aussi fortes que celles de Salvator Dali, Orson Welles, H.R. Giger, Pink Floyd ou Mick Jagger ? Quant au fondement même de l’œuvre, Jodorowsky le dit lui-même, il aurait violé le roman d’Herbert. Je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'un auteur doit posséder l’œuvre qu'il adapte, mais je me demande aussi ce qu'il serait resté du livre d'origine. Au vu de la fin qu'il avait en tête (que j'ai trouvée sincèrement médiocre), j'ai plus l'impression que nous aurions eu droit à un gros trip sous acide. Je me demande d'ailleurs comment Jodo et son équipe ont pu croire un seul instant que des financiers les suivraient dans leurs délires, d'autant plus que le film devait durer ... 12 heures !!!
Au final, si ce documentaire m'a appris une chose, c'est que certaines créations doivent rester des fantasmes. Jamais Jodorowsky n'aurait réussi à faire le film puissant et majestueux qu'il avait dans son esprit. Mais là où le documentaire est passionnant, c'est qu'il nous permet de fantasmer sur cette œuvre. Je reste persuadé que l'adaptation que Jodorowsky aurait faite de Dune se serait révélée comme un enfant malade ; en l'état, il s'agit d'un embryon parfait.

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