I'm ashamed of being an american today

Faire un film sur l'assassinat du 35ème président des Etats-Unis s'inscrit logiquement dans la carrière du cinéaste Oliver Stone, qui ne cesse d'interroger les dessous politiques de son pays. Il est même possible de situer le film dans une trilogie sur les présidents américains, trilogie complétée par Nixon et W. L'improbable président (avec, en contrepoint, les entretiens du cinéaste avec le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine), l'ensemble donnant une image sombre de la politique des Etats-Unis.


Progressiste contre conservateurs


On le sent dès la scène d'ouverture, Kennedy est présenté en exact opposé aux autres présidents. Élu (de justesse) à l'époque stratégique du début des années 60, JFK est constamment montré comme un président progressiste, humaniste, engagé dans le combat contre le racisme. Dans la fameuse scène de Washington avec « Monsieur X » (Donald Sutherland), on apprend même qu'il aurait cherché à démanteler les agences gouvernementales toutes-puissantes comme la CIA. Le Kennedy d'Oliver Stone est donc érigé en opposition aux forces conservatrices et obscures de ce que l'on nomme de nos jours « l’État profond » (Deep state) (d’ailleurs, au fil de son film, le cinéaste montre que ce combat n’engage pas seulement le président : les assassinats successifs de Martin Luther King Jr et Robert Kennedy sont désignés comme des répétitions, avec les mêmes procédés, de celui du président).
La réaction des agences gouvernementales mais aussi de simples citoyens (comme lors de la scène où l'on apprend la mort du président) dresse le portrait d'un pays profondément divisé. Loin de la vision simpliste des années 60 comme une période d'insouciance, Stone montre son pays travaillé par le racisme, l'anti-communisme primaire, l'homophobie, et toujours fasciné par le culte des armes ; la description ne peut que faire penser à celle que donne James Ellroy dans son roman American Tabloid. Chaque pas « progressiste » du président semble renforcer la colère d'une droite extrémiste. En plus du portrait rêvé d'un président idéal et courageux, JFK montre les forces qui freinent tout progrès social dans un pays. En choisissant de commencer son film par le fameux discours d'Eisenhower (qui fut président juste avant Kennedy) dans lequel le général dénonce le pouvoir abusif du complexe militaro-indistriel aux Etats-Unis, Oliver Stone pose tout de suite un des termes essentiels du débat.


L’héroïsme façon Oliver Stone


Comme bien souvent chez Oliver Stone, JFK propose une certaine image de l'héroïsme. Comme Kennedy, Jim Garrison n'hésite pas à s'élever contre des forces qui le dépassent, au nom de la justice et de la vérité. De fait, le film repose sur les véritables théories de Garrison, qui a réellement existé (on le voit tenir le rôle d'Earl Warren, le président de la Cour Suprême qui dirige la fameuse Commission enquêtant sur l'assassinat de Kennedy) ; JFK est adapté du livre de Garrison retraçant l'enquête qu'il avait menée à partir de 1966, On the trail of the assassins.
Il est, en gros, possible de diviser JFK en deux parties. La première partie représente les deux tiers du film et nous montre l'enquête menée d'abord secrètement par Garrison. Les informations nous proviennent de façon décousue, nous empêchant d'avoir une image d'ensemble. Comme le procureur (District Attorney) de La Nouvelle Orléans, nous sommes submergés par les révélations sans avoir assez de recul pour donner un sens à tout cela. Deux impressions se dégagent alors : d'abord l'idée que la thèse officielle du tireur isolé est montée de toutes pièces pour masquer quelque chose de beaucoup plus important, que l'on entrevoit petit à petit au fil de l'enquête.
L'autre sentiment qui se dégage est plutôt angoissant. Les Etats-Unis d'Oliver Stone sont aux mains de forces qui n'hésitent pas à employer la violence pour arriver à leurs fins. Là aussi, la scène avec « Monsieur X » en dit long sur les « Black Ops » et la capacité des services secrets américains à renverser des gouvernements étrangers lorsque cela les arrange.
La seconde partie du film montre le procès intenté par Garrison suite à son enquête. Là, le récit reprend tous les éléments qui étaient épars jusque là et les assemble de façon logique pour former un récit cohérent. Le réquisitoire de Garrison constitue clairement le point d’orgue du film. Et un exploit cinématographique, une véritable prouesse technique : un monologue d’une demi-heure, passionnant et haletant.


Thriller politique


Le rythme est une des grandes qualités de JFK. Parvenir à nous tenir en haleine pendant plus de trois heures alors que le propos du film est évident dès les premières minutes est une gageure parfaitement relevée par Oliver Stone. Des plans courts, un travail de montage ahurissant, tout est fait pour happer le spectateur dans un tourbillon qui l’emmène à une inévitable conclusion.
A ce titre, le rôle de Bill est très important. Bill est un des membres de l’équipe de Jim Garrison, et il est le sceptique de la bande. Il est celui qui se raccroche à ses idéaux et refuse de croire que les agences gouvernementales aient pu tremper, de près ou de loin, dans l’assassinat du président. Cela permet de créer des débats dans lesquels Oliver Stone, par la voix de Jim Garrison (car il est évident que les deux hommes se confondent, au point que l’on ne sait plus trop si c’est le cinéaste qui présente la thèse du procureur ou l’inverse), répond à l’avance à ses détracteurs.
Le casting est prestigieux et sans la moindre fausse note. De Jack Lemmon à Joe Pesci en passant par Tommy Lee Jones, Sissy Spacek ou Michael Rooker, tout le monde est parfaitement dans son rôle (quitte à être excessif quand il le faut). Une mention spéciale mérite d’être décernée à Gary Oldman, qui tient là un rôle ambigu lui permettant d’exposer l’étendue de son talent. Quant à Kevin Costner, il ne joue pas Garrison, il est littéralement le procureur, donnant au personnage son élégance et son charisme impressionnant. Le travail de reconstitution est, là aussi, exceptionnel. Reconstitution d’une époque bien sûr, avec tout un travail sur les costumes, les coiffures, les décors, etc. Mais aussi reconstitutions des images : les images filmées par Stone se mêlent habilement aux images d’archives au point qu’il est parfois difficile de faire la distinction. Enfin, la musique de John Williams est tout simplement exceptionnelle, sorte de marche funèbre militaire d’une grande beauté.
JFK est un très grand film, qui mérite sa place parmi les grands films politiques du cinéma américain. Un film passionnant, qui nous emporte sans nous laisser le moindre temps mort, ayant le suspense des meilleurs thrillers et une certaine ambiance qui pourrait rappeler les films catastrophe. Car c’est bien une catastrophe qui se joue ici, catastrophe au niveau de tout un pays qui, si l’on en croit les propos tenus dans le film, va s’enfoncer dans le massacre du Vietnam suite (et grâce) à l’assassinat. La mort de Kennedy refermerait sur la population américaine le piège dénoncé par Eisenhower. Et Stone parvient à nous faire ressentir tout le caractère révoltant d’une telle proposition.


Article originellement publié dans LeMagduCiné

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le 23 juin 2019

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