C'était l'année 1962, chantait Cloclo.
Une année de légende pour un film de légende introduisant une franchise de légende.
Légende qui commence dès ces mots: "Bond, James Bond !".


D'aucuns diront que le film a mal vieilli.
Il ne faut pas s'attendre à Skyfall, c'est certain: moins d'action, aussi peu de gadgets, une intrigue plus simple.
Mais attention, on aurait tort de juger le film à son apparente bonhomie: la cuvée 62 est une cuvée d'exception!
L'exotisme jamaïcain de Kingston, le monde civilisé, et Crab Key, l'île sauvage, introduit James Bond dans un contexte presque fantastique où un savant fou de type Fu-Manchu s'entoure de souris noires aveugles et tueuses, d'araignées extrêmement létales - humaines comme animales -, d'un dragon - certes d'acier -, et d'une charmante sorcière au nom de jeu de cartes.
Jeux de cartes qui sont aussi le fil rouge de l'intrigue: Bridge mortel à un Strangways qui s'en éclipse, chemin de fer qui introduit le célèbre espion, solitaire qui amorce l'éclipse de milieu de film comme pour préparer un changement d'intrigue et de décor.
S'il est daté, c'est parce qu'il reflète avec une terrible précision le contexte de son année de sortie originale: le complot du Docteur No, s'appuyant sur le basculage, fait référence aux missiles de Cuba; 007 retrouve un célèbre tableau volé qui n'a pas encore été retrouvé; le film se déroule en Jamaïque, qui vient de décoloniser.


C'est donc un excellent cru que Terence Young, monstre du cinéma, réalisateur de Soleil rouge ou Cosa nostra, nous offre pour ouvrir le bal du gentleman espion.
La galerie de vedettes n'est certes pas la plus impressionnante de la saga mais a un mérite indéniable: Sean Connery, connu la même année pour Le Jour le plus long, et qui campe un 007 flegmatique et pourtant à la frontière entre McGiver et John McLane; Ursula Andress, dont l'entrée en scène en bikini blanc détournant la Vénus du Botticelli rend à elle seule le film anthologique et présente Honey Rider, une sorte d'amazone qui prend pour alter-ego la mante religieuse et casse tous les codes de la femme au cinéma et à l'avance toutes les critiques sur les JBG - elle reprendra d'ailleurs ce type de rôle dans Les Tribulations d'un chinois en Chine; Anthony Dawson, vedette fétiche de Young et d'Hitchcock, qui campe un Docteur Dent véritable incarnation de la lâcheté, loin de son Blofeld à venir; Jack Lord, le meilleur interprète de Félix Leiter, l'homologue de la CIA, et que l'on connaît surtout pour son rôle McGarett dans Hawaï 5.0, série et film; Eunice Gayson, tête récurrente des différentes grandes séries de l'époque dans le rôle d'une Sylvia Trench meneuse d'homme, seule James Bond girl à revenir dans deux volets, injustement oubliée par beaucoup, malgré sa place centrale dans les affiches italiennes du film; Bernard Lee et Loïs Maxwell dans leur première apparition de ce qui sera leur plus grand rôle - bien que connu au par ailleurs - qu'ils reprendront toujours ensemble dans les deux célèbres parodies de Neil Connery et des Charlots; Joseph Wiseman, fidèle de Young, un Docteur No glaçant mais trop furtif, hélas, qu'on retrouvera dix ans plus tard dans Cosa nostra. On notera l'interprétation correcte de Miss Taro par Zena Marshall, une habituée de Danger Man.
Ce qui peut refroidir, outre le personnage éponyme, ce sont les graves erreurs de raccord, aujourd'hui célèbres et galvaudées et que chacun sait: araignée sur plaque de verre, plans de poursuite automobile réutilisés à outrance, adresses de Miss Taro qui ne correspondent pas en version originale.
Ce qui peut frustrer, c'est de savoir ce que le film prévoyait à l'origine: un premier volet de saga par Alfred Hitchcock avec Cary Grant (007), Ursula Andress, Anthony Dawson et Christopher Lee (Dr No).
Ce qui est amusant, c'est la différence de dates de sorties - nous, français, l'avons découvert peu avant Bons baisers de Russie en 1963 - et la différence de titres suivant les pays: Docteur No pour les anglophones, James Bond contre le Docteur No pour les français et les espagnols, James Bond traque le Docteur No pour les allemands et, pour les italiens et les suédois, un titre extrêmement en avance qui rejoint celui qui, en 1989, devait être le dernier de la saga (avant de connaître une suite en 94), Permis de tuer.


Dans l'ensemble, une excellente cuvée 007 1962 qui vaut le coup d'oeil pour son charme, son exotisme, son style électron libre méconnu et inattendu, en total lien avec son temps. Cela le fait souffrir d'un "coup de vieux" qui peut déplaire aux adeptes du consumérisme, lui qui souffre surtout d'une présence trop verbale du méchant éponyme.
Comme disent les japonais à propos de ce film: "007 est le chiffre mortel!", alors n'hésitez pas à vous plonger, en jouant le jeu, dans l'ambiance d'exotisme et de mort du Docteur No.

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le 2 août 2015

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Frenhofer

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