Il y a deux sortes de films qui m'exaspèrent.
Ceux qui sont médiocres de bout en bout, et ceux qui me font espérer longtemps, trop longtemps, avant de m’assommer d'un coup de matraque à l'arrière de la tête. "Jackie" vient donc rejoindre "007: Spectre", "Harmonium", et autres films qui m'ont menti sur la marchandise pendant toute la première partie. Alors oui, j'ai mis 6/10, mais parce qu'une bonne partie du film frôlait, selon moi, la perfection.


J'ai été littéralement happé par les partis pris visuels et de réalisation. Pablo Larraìn (dont je n'avais alors vu aucun film) a cette manie de volontairement effacer les raccords entre certains plans ou scènes, ce qui renforce la sensation de perdition du personnage principal, ébranlé au plus profond de son être. Cette technique a aussi le mérite de nous tenir en haleine, de nous faire attendre au tournant la prochaine scène. Autre parti-pris très malin : le fait que Jackie n’interagisse, la plupart du temps, qu'avec un seul personnage (le journaliste, le frère Kennedy, son amie et confidente, le prêtre...). On ressent alors pleinement la dimension intimiste de l'oeuvre qui semble ambitionner de présenter la première dame sous plusieurs jours. Le jeu des apparences est d'ailleurs remarquablement mis en scène dans les séquences de fausses images d'archives, filmées à la maison blanche.
D'un point de vue purement sensoriel, certaines scènes possèdent une force brute incroyable, comme le passage où Jackie, maculée du sang de son époux, tente de se nettoyer le visage, sans succès, et sanglote face caméra dans un plan fixe très perturbant.
Et puis il y a le jeu de Portman. Si l'actrice conserve sa pudeur habituelle (sa trop grande réserve, selon moi), elle dégage un charisme assez dingue sans que le réalisateur n'ait à déballer les clichés de la femme forte. On a donc une "Jackie authentique" durant toute la première moitié du film.


Alors, quand est-ce que ça dérape? Larraìn a un goût certain pour le symbolisme et la répétition des plans et des situations, sauf que ça finit par coincer. Car passée la claque esthétique et sensitive, l'ennui guette, et ces répétitions (notamment les scènes avec le journaliste, qui ne constituent qu'un prétexte pour guider l'utilisation des flash-backs) deviennent lourdeurs.
On passe maintenant à ce qui continue pour moi l'acte de "sabotage" du film : son changement d'intention.
Si la première partie se veut "film d'auteur", loin des biopics classiques, et utilise l'histoire de cette femme pour faire du beau cinéma, la seconde s'embourbe dans des considérations politiques, enchaînant les maladresses comme des perles. Jackie devient une "femme forte stéréotypée", tenant tête à l'administration Johnson, ne jurant que par d'obscurs citations, bref... le personnage perd son naturel. Et puis certains parti-pris sont balayés. Pourquoi montrer d'un coup JFK? Pourquoi rendre son assassinat si cru alors que le film semblait graviter autour de l’événement sans jamais le décrire? Pourquoi des passages purement symboliques du film (La chanson "Camelot") sont-ils ré-utilisés et explicités jusqu'à la nausée? Pourquoi toutes ces considérations spirituelles et les dialogues avec le prêtre qui ne servent que les clichés habituels du mélo à grand coup de phrases énigmatiques (enfin, ça m'a quand même fait plaisir de revoir John Hurt, une dernière fois...) ?


Sans doute me suis-je trompé, ai-je présumé trop vite des intentions du réalisateur, ébloui que j'étais par la force de son film. Quelle déception...
Je ne comprends pas le projet. Quelle était l'ambition de ce film? Pourquoi ce revirement? Les films à la gloire des Kennedy ne manquent pas alors pourquoi utiliser le destin si particulier de cette femme pour resservir une énième fois la même soupe. Parce qu'on a quand même le droit au journaliste qui sort à la fille qui le pourrit depuis une heure "Tout le monde vous admire, vous ne serez jamais oubliés, blablabla....".


Le début du film était un numéro d'équilibriste improbable et parfaitement exécuté. Il a suffi d'un faux pas pour enclencher tout l'engrenage et faire de "Jackie" un film oubliable.

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le 8 févr. 2017

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Mr_Step

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