La noblesse du cinéma de Clint Eastwood, peut malheureusement parfois rimer aussi avec paresse. Non pas que le cinéaste délivre une œuvre faite à la va-vite avec J. Edgar, car on sent tout l’investissement déployé, la fluidité habituelle du récit et la délicatesse mise en œuvre, mais toutes les caractéristiques du cinéaste, autant visuelles que thématiques, sont présentes dans J. Edgar. Le confort dans lequel s’est installé Eastwood incite donc à la remise en question de son écriture devenue fonctionnelle et schématique.


J. Edgar se veut être un biopic qui sorte un peu des sentiers battus, qui s’écarte des irrémédiables scènes Wikipedia de l’hagiographie pour comprendre et nous en apprendre plus sur les multiples facettes de J. Edgar Hoover, le fondateur du FBI. Sauf que le plus gros bémol du film, est d’amener de nombreuses pistes, tantôt sur le système sécuritaire américain, sur le totalitarisme et l’opportunisme du personnage, et surtout sur le secret de son homosexualité, mais jamais le cinéaste ne gratte sous le vernis, jamais il ne les amène à leur paroxysme idéologique. Il reste donc à la surface de sa démonstration et ne s’empare pas pleinement de l’ascendant viscéral du récit.


Comme à son habitude, le cinéaste s’attelle à vouloir construire et déconstruire le mythe américain, grâce à des figures qui ont forgé l’Amérique. C’est beau, par moments, de voir à quel point Clint Eastwood, s’identifie à J. Edgar, à cette Amérique qu’il connait et qu’il conçoit, une Amérique qui a dû batailler pour consolider sa stature. Mais cette identification, le réalisateur n’en fait rien: J. Edgar ne jumelle pas ses intrigues, l’envergue de l’histoire est trop didactique, à l’image de l’homosexualité de J. Edgar Hoover, présentée de manière très douce (ou difficile) mais démontrée de manière si sibylline qu’elle en a aucun apport sur le récit lui même. Jamais le film joue sur cette fantastique idée : celle de l’Homme qui garde un secret inavouable alors qu’il met sur écoute toute l’Amérique et qu’il pourrait faire chanter les plus grands.


Pourtant, J. Edgar reste tout de même le portrait intriguant et ambigu d’un homme aux pensées refoulées, assujetti à la domination d’une mère castratrice (magnifique dernière scène de « travestissement ») et dont l’ambition n’avait qu’un seul mot d’ordre: être la perfection que sa mère voulait. De cette perfection, fait naitre la profondeur disparate de J. Edgar, un homme qui calcule tout, du moindre fait et geste, sans compter, bien évidemment sur la classe légendaire et maladive de Leonardo DiCaprio qui arrive à donner de l’ampleur dramatique.


Certes, la pudeur des sentiments est de mise, le jeu sur la réalisation et les clairs/obscurs de la luminosité s’avèrent d’une élégante beauté, les non-dits sont dévoilés avec parcimonie, mais au final, le film se veut trop propre sur lui pour vraiment étayer ses enjeux dramatiques, à l’image de la folie autoritaire de son personnage, qui n’est quasiment peu ou pas contre-argumentée.


Là où un cinéaste comme James Gray arrive à faire cohabiter élégance des traits et des effets avec la rugosité des tensions, Clint Eastwood est devenu un cinéaste un peu frileux, qui ne connait pas le contre pouvoir des idées et insère son cinéma dans une aspiration « naphtaline » qui n’est pas des plus probantes. Nous avons un peu perdu de vue, le cinéaste qui arrivait à égratigner et à salir l’humanité dans Mystic River ou à faire éclore les balbutiements de l’amour dans Sur la route de Madison.


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Velvetman
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le 28 janv. 2019

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