Depuis « Gran Torino », le prolifique Clint Eastwood nous avait offert deux films très moyens. Le premier sur Nelson Mandela et la Coupe du monde de rugby de 1995 était franchement décevant tandis que le second sans doute de meilleure facture, trois destins croisés sur l'expérience de la mort, se révéla cependant anecdotique dans la filmographie du réalisateur américain. Historien en formation, j'attendais beaucoup de son nouveau projet, un biopic sur J. Edgar Hoover, patron du FBI pendant 48 ans (1924 – 1972), le « plus grand salaud d'Amérique » selon son biographe Anthony Summers.

Si je savais que le portrait d'un homme aussi complexe n'allait pas être exhaustif (le film ne dure que 2h15 pour un tel sujet), j'attendais tout de même de Clint Eastwood qu'il en montre une esquisse psychologique et sociologique convaincante. Force est d'avouer que le pari est relevé haut la main. Le film est construit sur des allers-retours incessants entre les années 1920/1930 et les années 1960, entre les années du début de la carrière de J. Edgar et celles où il livre ses mémoires à des nègres. Deux époques que tout oppose et pourtant, la figure d'Hoover semble être figée dans le temps.

C'est sans doute la grande force du film. Clint Eastwood a parfaitement su mettre en images les obsessions de cet homme. Sa peur des Rouges, des communistes, des bolcheviks, sa pensée très organisée qui se manifeste dans l'obsession du rangement, du classement, du fichage, son autoritarisme illusoire (voir la scène de Hoover avec ses hommes alignés au FBI, semblable à l'introduction de Full Metal Jacket de Stanley Kubrick) sont autant de règles auxquelles le directeur du FBI ne dérogera jamais. À tel point qu'au crépuscule de sa vie, il considérera Martin Luther King comme un communiste !

Le récit est formidablement construit et le classicisme de Clint Eastwood dans la mise en scène nous ramène à la gloire passée du cinéma américain. Sans doute faut-il choyer ce cinéaste, maîtrisant son art comme personne (« Gran Torino » est à ce titre une leçon de cinéma), car il est sans doute le dernier bastion d'un cinéma révolu qu'on aimerait pourtant voir encore. Quant au casting, Leonardo DiCaprio éclaire une nouvelle fois le film. Il vient poser un nouveau jalon dans sa carrière qui n'en finit plus d'être intéressante et surprenante depuis que Martin Scorsese l'ait pris sous son aile en 2002 pour « Gangs of New York ».

Si Clint Eastwood ne peut se refuser quelques scènes partisanes où son respect, si ce n'est de l'admiration, est manifeste, nous sommes touchés nous aussi par la vie de cet homme, en particulier les scènes entre Hoover et Tolson, leurs moments de complicité, leurs déjeuners ensemble, où l'empathie du réalisateur tourne à plein régime. Ceux deux amants interdits ne cesseront de se chercher mutuellement sans pouvoir se trouver. Hoover, obnubilé par son travail, accaparé par sa mère, soucieux de soigner son image de façade, ne pourra jamais s'afficher publiquement comme un homosexuel. Mais Clint Eastwood ne tranche pas non plus la question et, avec une grande pudeur appréciable, filme une histoire d'amour impossible toute en délicatesse et en retenue.

Enfin, on n'oubliera pas de mentionner les quelques oublis (volontaires ?) de Clint Eastwood qui auraient pu étayer la personnalité de Hoover : la question de son racisme, ses liens avec la Mafia, ses chantages auprès des sénateurs américains... On appréciera toutefois l'accent mis sur sa volonté un peu vaine et obsessionnelle de détruire les hommes de gauche et les mouvements pour l'égalité des droits (la scène avec Martin Luther King à la télévision en témoigne). Un homme sans doute en avance sur son temps au début de sa carrière (il est le défenseur de la police scientifique : empreintes, scènes de crime...) mais en retard à la fin de sa carrière.

Clint Eastwood signe ici un film magnifique, très bien construit, interprété et filmé. Si la fin s'étire un peu sur la longueur, c'est pour mieux finir sur un ultime pied-de-nez de Hoover. Celui qui avait contrôlé toute sa vie, réussit aussi à contrôler sa mort !
potaille
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le 6 avr. 2012

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