1988.


Voilà **John Nada** - un homme libre - débarque à Los Angeles pour y travailler. Il se lie d’amitié avec un ouvrier aussi désœuvré que lui, puis découvre que sous le vernis de la société US, se cacherait un bien étrange secret…

Secret que l’on ne peut percevoir qu’à l’aide de lunettes solaires, montrant la réalité telle qu’elle est : des extra-terrestres ont envahi la ville et siègent aux plus hautes sphères du pouvoir.

Nada décide que trop c’est trop et fera tout pour que cette dérangeante vérité éclate au grand jour.


Second film tourné sous contrat avec Alive Film ( après Prince of Darkness l'année précédente ), Big John se met en tête d’exprimer sa pensée profonde quant à la manière dont son pays est dirigé, soit une lourde critique du capitalisme Reaganien
Et donc de choisir comme (anti) héros, un homme venu de nulle part qui s’appelle John Nada ( "nada" signifie "rien" en Espagnol), une manière de s’attaquer par les bases à l’ère des yuppies.
Son choix se tourne alors vers le regretté catcheur Roddy Piper qui - hormis son apparence puissante - a un visage tout à fait ordinaire, lui permettant d’incarner ce Nada qui croit malgré tout en son pays, mais n’en demande pas plus.
Dès les premières images, la musique mélancolique de Carpenter est à la limite du thème "Westernien", annonçant l'arrivée de l’Homme sans nom (puisque nada = rien) venant rétablir l’ordre dans la ville.
Nada apparait donc sur une voie ferrée - où le «  cheval de fer » a remplacé la monture de l’Ouest sauvage - tel un fantôme issu du passé. Nous suivons donc notre protagoniste qui traverse la Cité des Anges avec son sac à dos, et de passer des beaux quartiers d’affaires puis résidentiels (la société capitaliste) au bidonville de Justiceville, où vivent les laisser pour compte, victimes d'une société portant au pinacle le consumérisme sauvage..
L'Etranger trouvera malgré tout un emploi précaire dans le bâtiment (seule corporation ayant besoin de gens non-qualifiés) et y fera la connaissance de Frank, un Afro-Américain qui lutte lui aussi pour sa survie.
Nada voit alors une émission pirate sur le câble, dont le sujet est : "Eux"…
"Eux" qui régissent pour tout le monde, "Eux" qui uniformisent les pensées…
Le message diffusé illégalement semble nous renvoyer aux heures sombres de la Seconde Guerre Mondiale et aux résistants.
Nada remarque aussi qu'une étrange activité se déroule dans une ancienne église…
Intrigué, il s’y rend et découvre que les chants entendus depuis l’extérieur ne sont qu’un enregistrement, et que quelques personnes complotent quelque chose…
Notre Homme venu de nulle part commence à comprendre que rien ne parait tourner rond, dans ce monde qu’il croyait connaitre…


A ce titre, la scène du déploiement policier dans le bidonville insiste sur un certain fascisme latent, à savoir le nettoyage par le vide, évidemment orchestré par le pouvoir en place qui collabore avec l’ennemi (auparavant, le gouvernement français et les nazis, ici l’homologue US avec les extra-terrestres ). Ce parallèle est d'ailleurs appuyé par une réplique d'un des sans-abris :
"C’est la 3ème Guerre Mondiale, ou quoi ?"


Nada trouve alors ces fameux cartons dans une pièce secrète de l'église, tous remplis de lunettes solaires. Curieux, il en chausse une paire et là, l’image passe alors au N&B, comme pour nous indiquer que voici la réalité sans fard.
Ne comprenant rien à ce qui lui arrive, il lève alors les yeux sur une affiche grand format et au lieu d'y voir une publicité, il n'y voit qu'un seul mot : "Obéis".
Il baisse ses lunettes: c’est une publicité quelconque, vantant les mérites quelconques d'un produit tout aussi quelconque.
Il les remet : "Obéis".

Et c'est la même chose qui se passe lorsqu'il porte le regard sur le moindre affichage, couverture de magazines, pancartes…
Des messages identiques:, "Stay Asleep", "No Independent Tough", "Marry and Reproduce" "Consume", "Submit" etc…
Mais notre homme n’est pas au bout de ses surprises !
En effet, alors qu’il feuillette un magazine - où en lieu et place du texte et de photos - est écrit en gros caractères: "Do Not Question Authority", "No Imagination", il s’aperçoit avec horreur que le visage du quidam à côté de lui, n’a que peu de rapport avec un être humain : écorché vif avec de gros yeux argentés…
Une métaphore sur le fait que les yuppies ne vivent que par et pour l'argent?
Ou bien que la population n'est qu'un troupeau de moutons?

Carpenter nous dit ceci: "Ils" se cachent donc parmi nous et ils tentent de se fondre dans la masse…
S’en suit une scène comique où Nada a quelques mots avec une vieille dame (qui n'en est pas vraiment une) en se moquant ouvertement de sa gueule de E.T.
"En voilà un qui voit !", dit-elle à sa montre-émetteur (traduction : en voilà un qui pense par lui-même). Tout l’enjeu sera donc pour notre héros d’ouvrir les yeux à ceux qui sont encore capables. Et il se rendra compte que ce n’est pas chose aisée…
Ainsi, pour convaincre le têtu Frank Armitage (son collègue de travail), il devra lutter littéralement contre son scepticisme, au cours dune bagarre homérique à l'issue de laquelle, celui-ci acceptera enfin de chausser les fameuses "lunettes de la vérité".


Il est fort intéressant de noter que Frank Armitage ( le personnage interprété par Keith David) est le pseudo qu’utilisa Carpenter pour signer le scénario (car il ne voulait pas que son nom phagocyte l’affiche, vu qu’il en est aussi le compositeur), ce qui pourrait aussi signifier que ce Frank, serait son alter-ego.
Un cas intéressant.


Quant au fait de la non-accoutumance du port de ces lunettes spéciales, se pourrait-il que ce soit la faute à une vérité trop hideuse à voir ?
On peut l’envisager sous cette forme.


Quoiqu’il en soit, la réalité n’en est pas une, juste un lissage seyant pour cacher un Ordre facho.
Ainsi le pouvoir et ( est ) l’argent, car ne voyons-nous pas la devise " This is your God" sur les billets ?
Les lunettes noires devenues le symbole de "Ceux qui savent", deviennent trop "voyante", les rebelles conçoivent alors des lentilles de contact leur permettant ainsi de ne pas se faire remarquer (et accessoirement de voir les yeux des acteurs).


Comme souvent chez Big John, pas de happy-end niais. Il se fait donc plaisir encore une fois ( après le "final fuck" d'Escape from New York en 1981 et au nihilisme de The Thing en 82) lorsque Nada détruit le transmetteur/brouilleur des E.T . Ceux-ci apparaissent alors sous leurs formes véritables à la T.V, mettant ainsi fin à leurs règnes .
La dernière scène du film nous montre Nada tendre le majeur avant de mourir, un «  doigt » face aux spectateurs semblant dire "si ça vous plait pas, je vous emmerde…"


Carpenter a beau dire qu’il n’a fait qu'un film d’action (ce que corrobore la bande-annonce axée sur les fusillades et autres explosions), il s’agit pourtant d’une corrosive satire sociale, dont notre Jean Charpentier se fait le chantre !
Il est temps de ré-estimer ce bijou, car toujours d’actualité aujourd'hui, dans le fond.


"They live, we sleep…"

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le 4 nov. 2017

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The Lizard King

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