On a beau être un vieux bougon, on se laisse aller comme tout le monde à une tendresse cachée pour le bon vieux Carpenter et il nous arrive de le surnoter sans vergogne d’un ou deux points avec la meilleure volonté du monde.

Et puis, un jour, vingt ans plus tard, on en revoit certains qui ne passent plus aussi bien que dans les souvenirs.

Mes souvenirs à moi étaient d’ailleurs tellement confus que je mélangeais allègrement celui-là avec futur immédiat Los Angeles et Police fédérale Los Angeles vus à la même époque, ce qui n’aide pas… Finalement, je me souvenais surtout du coup des lunettes…

J’étais comme un enfant à Noël en mettant la galette que j’avais déniché la veille avec le sourire machiavélique du type qui devine derrière la croûte achetée aux puces le tableau de grand maître qu’il sait très bien se cacher derrière. D’ailleurs ça commence plutôt très bien, avec ce vagabond sans nom ou presque (John Nada, chouette, ça va être dans sa veine nihiliste, c’est la plus drôle !) qui cherche à bosser sur un chantier dans un Los Angeles en pleine crise économique et sociale. Un bidonville, des voisins mystérieux, une télévision envahissante, un prédicateur… L’ambiance s’installe.

Et puis, les lunettes… Bon, je n’ai plus d’effet de surprise, c’est dommage, du coup, je vois bien qu’il n’en fait rien du tout, quitte à les remplacer par des lentilles d’ailleurs, et moi, je ne vois plus que la grosse parabole en parpaings armés qui prend toute la place en oubliant même de raconter un minimum d’histoire et qui se bousille elle-même par excès de lourdeur.

Après les succès miraculeux de la première moitié des 80’s, Carpenter a bousillé tout son crédit avec le pourtant formidable mais absolument improbable Jack Burton, il fallait un peu s’y attendre, mais le brave John l’a mauvaise, il boude et en veut à la terre entière, quitte à perdre ses talents de conteurs au passage… Alors il réalise ce genre de films pour dresser, tel un ado boutonneux réprimandé par le surgé, un majeur vengeur lorsque celui-ci à le dos tourné.

Le pire étant que le double discours du film aurait pu être formidable s’il ne s’était pas contenté de son postulat de départ et d’un scénario qui tient une feuille de papier à cigarette… Je ne sais pas ce que donne l’œuvre originale, d’ailleurs, je suis dubitatif quant aux possibilités créatrice du type qui a inventé la casquette à hélice, alors je me contente de voir ce que raconte Frank Armitage/John Carpenter, le scénariste de ce film. Et là, je suis désolé, mais je ne trouve pas mon compte. La critique plan-plan de la société de consommation, la télévision, la publicité, les yuppies, passé le gag de foutre ça au niveau des extra-terrestres, ça ne casse pas trois pattes à un canard, disons le tout de go. Et puis de toutes façons, pour que ce genre de choses passe, faut soigner l’emballage, je veux dire, l’histoire-prétexte, ce que réussissait beaucoup mieux l’invasion des profanateurs par exemple.

Parce que pour le reste, à un ou deux détails près, le manque de moyens n’est pas le plus gros défaut du film, Carpenter filme assez proprement, il y a même de jolies trouvailles avec les pseudo-CRS et les fumigènes et on va dire que sa musique passe assez bien, sans atteindre jamais le sommet de la bande son de NY97, bien sûr.

Malheureusement, le scénario, ce qui ne lui coûtait pas grand-chose d’autre que son temps est absolument méprisé du début à la fin. Je jette un voile pudique sur la scène ou le héros veut forcer son quota de copain à ouvrir les yeux sur ce qui l’entoure quitte à ce que dans l’histoire normale ça soit d’une absurdité sans nom, parce que c’est peut-être amusant de filmer un combat de catch pendant vingt minutes, mais faudrait lui donner plus de dynamisme que les pires batailles de saloon des affreuses séries B de John Wayne de 52 minutes qu’il faisait au début des années trente… Mais bon, comme ça, c’est fait, il peut remplir le vide et espérer atteindre laborieusement l’heure et demie habituelle et nécessaire.

Je ne reviens pas non plus sur la dernière partie sous-terraine ou le n’importe quoi a résolument pris les commandes et qui ne pourra rien faire pour sauver le film du marasme.

A un moment, aussi, on se rend compte que les années quatre-vingt souffrent terriblement lorsqu’il n’y a pas d’acteur d’envergure pour rattraper le coup. Je sais bien que Kurt Russell n’est plus disponible, mais tout de même, engager cette pâle copie bodybuildée et nuquée jusqu’à l’indécence c’est un crime contre le cinéma et l’art capillaire. Le pauvre Roddy Piper était probablement plus à l’aise sur un ring de catch, espérons-le pour lui, le fait est qu’ici il est un comédien détestable, allant jusqu’à massacrer les rares bonnes répliques du film (je n’ose imaginer le parti que ce bon Kurt aurait pu tirer du "I've come here to chew bubblegum and kick ass...and I'm all out of bubblegum"…).

Avec ça, l’affubler d’une donzelle qui a le physique d’un désastreux mélange entre Susan Sarandon et de Charlotte Rampling versions 80’s ne va pas m’aider à compatir beaucoup sur le reste du casting…

Et puis comme toujours, alors qu’on a abandonné tout espoir, le bon John nous sort une dernière minute extra qui m’a presque donné envie de revenir du bon côté de la barrière, après tout, je surnote bien allègrement Los Angeles 2013 juste pour ses dernières secondes… Parfois on a l’impression qu’il ne fait ses films que pour le plaisir des fins, un de ses points forts, assurément, mais je préfère quand il n’oublie pas tout ce qui se passe auparavant.
Et puis non, définitivement, la veine lourdement politique d’un Carpenter amer m’intéresse beaucoup moins que sa veine nihiliste jubilatoire, comme si le mélange impossible entre sa vision des choses et celle de ce libertarien de Kurt Russell enfantait quelque chose de miraculeux, dans le genre de la relation Frank Capra/Robert Riskin, toutes proportions gardées, bien sûr…

Ce qui fait qu'il me faut absolument trouver le Roman d'Elvis, maintenant...

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le 13 févr. 2013

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Torpenn

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