C’est à un peu plus de douceur que de coutume que nous invitent Joël et Ethan Coen, une douceur pleine de l’intimité que l’on ressent quand on passe une soirée entre vieux amis. Plus de sensibilité aussi, emplie de cette intelligence émotionnelle qui fait que l’idée d’âme humaine fait sens. Une histoire toute en nuances, faite de petites touches d’une précision qui fait mouche à tout coup. On ne se pose pas la question, finalement assez vaine, de savoir si cette œuvre est leur meilleure, le plaisir intense et immense en serait gâché. Le bien-être qu’on savoure avec stupéfaction, tant il n’était pas attendu, ne souffre aucune comparaison tant les deux frères ont su couler leur cinéma, fait d’humour et de décalages, dans la peau des plus grands classiques que créait Hollywood il n’y pas si longtemps.

Llewyn est un doryphore, un musicos parasite sans le sou, qui passe son temps de petits contrats en petits contrats, de canapé d’amis en canapé d’inconnus, sans que sa belle sensibilité artistique ne soit le moins du monde reconnue de ceux-ci. Ses amis le tolèrent la plupart du temps et parfois lui vouent une admiration immodérée. Pourtant Llewyn est seul, il a perdu ce partenaire artistique qui faisait qu’il se sentait musicalement complet, prêt à découvrir avec lui l’ivresse du succès. Il y a aussi cette intégrité artistique, teintée de mauvaise foie, qui fait qu’il repousse tout compromis, refusant de vendre son âme à la folk de bas étage. Sa manière d’attendre que le succès reconnaisse son talent, sans chercher à aller au-devant de lui, provoque en lui une sorte de lassitude, un début de résignation qui, loins d’éteindre sa croyance en sa guitare, le poussent peu à peu à renoncer à une hypothétique reconnaissance publique et commerciale.

Encore une fois on ne s’attend pas à ça de leur part, pas à un film tellement éblouissant, pas à tant de justesse, de précision d ans l’art de toucher à l’émotion pure. Pas de grandiloquence pour autant, juste une inhabituelle sensation de bien-être dès les premières minutes, dès la première chanson, belle à pleurer, d’un Llewyn l’interprétant devant un public conquis dans un silence religieux. Il en y aura plusieurs de ces moments de bonheur, de ces chansons mélancoliques qui changent la tristesse en plaisir. Est-ce Oscar Isaac, extraordinaire, qui joue Llewyn ? Est-ce l’inverse ? J’aime à penser que ce film n’existe pas mais que Llewyn, lui, existe bel et bien, qu’il se balade encore quelque part dans notre passé et chante encore, laissant derrière lui la si belle Carey Mulligan, blessée par l’amour d’un homme décidé à vivre de ses rêves, décidé à ne jamais redescendre sur terre, quitte à finir seul, sans elle.

De l’œuvre des frères, Inside Llewyn Davis pourrait devenir leur plus beau film, celui qui, le plus, a su captiver par un travail unique de l’image, par une mise en scène de maitres sans tomber dans les effets spectaculaires, par des personnages chamarrés en plein spleen, par un humour qui gagne en force car en retrait, plus discret. Musique, mise en scène, scénario et acteurs, tout concourt à faire une œuvre unique dans la carrière des deux frères, un film qui transforme le temps qui passe en bonification car les frères Coen ne vieillissent pas, ils changent…
Jambalaya
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le 20 mars 2014

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Jambalaya

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