• Les tirailleurs peuvent se faire tuer pour nous sans histoire mon capitaine, mais s'il y a injustice ça peut exploser.

  • Vous les connaissez les indigènes Martinez.

  • Ne les appeler pas comme ça devant eux mon capitaine.

  • Les musulmans.

  • Ça non plus, ils n'aiment pas.

  • Comment voulez-vous qu'ont les appelle sergent ?

  • Les hommes mon capitaine, les hommes.



Rachid Bouchareb réalise avec Indigènes une oeuvre algéro-belgo-franco-marocain basée sur un fait réel qui vise très grand et très profond, avec une intensité rare, s'imposant à l'esprit par une perception poignante, inconnue et cruelle d'une page historique autour de la Seconde Guerre mondiale que l'on pensait tous connaître, mais qui cachait encore en elle de quoi se révolter. Un récit bouleversant retraçant le parcourt d'une troupe d'indigènes et de pieds-noirs volontaire venant de diverses colonisations, afin de lutter pour la libération de la France assiégée par les Allemands au nom de la liberté, l'égalité et la fraternité. On suit sur plusieurs années le cheminement d'une unité de tirailleurs envoyé depuis leurs terres natales jusqu'au front Italien et Français combattre les nazis. Le fil conducteur et polémique de l'intrigue qui a fait couler beaucoup d'ancre vient de l'inhumanité raciste avec laquelle le gouvernement Français a traité les alliés venants des colonisations.


Quelle indignation ! Le film m'a révolté sur bien des aspects ! Il est impensable d'imaginer l'attitude révoltante des dirigeants auprès des combattants venu libérer la France. Comment en est-on arrivé à un tel degré de mépris, d'horreur, de stupidité et d'aversion. Une répugnance que dénonce le réalisateur Rachid Bouchareb sans commettre l'erreur de mettre tous les Français dans le même panier, puisque c'est l'attitude du gouvernement français de l'époque qui est avant tout dénoncée, ce qui est intelligent. Les combattants musulmans malgré leur sacrifice ineluctable pour la France n'ont droit à aucune permission, interdit de manger certains produits alimentaires comme les tomates, interdit d'avoir une relation avec une femme française, interdit de monter en grade, jusqu'au gel des revenus qui ne seront réglés que 60 ans après (grace à ce film). En clair, on marche sur la tête devant de telles déconsidérations. Certes on pourra toujours rouspéter sur quelques véracités comme les véritables motivations de certains combattants venus des colonisations, pas tous engagés pour le salue de la France, mais soyons honnête, on s'en fout, ils ont tout de même donné leur vie et c'était donc largement suffisamment pour les traités avec respect et égalité.


Il faut savoir composer avec son passé aussi lourd soit-il, et bien que je sois outré, je suis ravi d'apprendre que ce film a contribué à remettre au grand jour ce cruel évènement historique. Il ne sert à rien aujourd'hui de s'engueuler sur cette oeuvre en se balançant des vacheries en prenant pour exemple d'autres choses affreuses commis par les autres pays, même ceux venant des colonisations. Chaque pays porte son lourd fardeau s'est évident, mais nous ne sommes pas responsables des crimes de nos pères, par contre nous sommes responsables de l'avenir. En cela Indigènes est une oeuvre utile puisqu'elle permet de revenir sur des évènements mortifères tels que celui-ci, non pas pour créer plus de friction entre les gens, mais pour rétablir un semblant de justice et de vérité, chose qu'aura brillamment réussie Rachid Bouchareb puisque qu'après visionnage de son oeuvre, le président de la République de l'époque Jacques Chirac, corrigera certaines de ces injustices, réhabilitant ses soldats oubliés. Cela n'efface pas tout, mais c'est un bon début et une reconnaissance envers tous ses soldats étrangers morts pour la France, mais aussi une reconnaissance pour les nombreux soldats français morts aux combats qui ne méritent pas d'être salis à cause de la stupidité des dirigeants.


Revenons au film : Rachid Bouchareb réussit à livrer une grande oeuvre historique qui n'oublie pas d'être avant tout un film distractif. On se laisse happer et subjuguer devant cette oeuvre dont il est impossible de rester insensible tant c'est bouleversant. Malgré le propos dur du récit, Indigènes transpire d'humanité et de bonne volonté, avançant au fur et à mesure dans l'émotion, le splendide, mais aussi dans la réjouissance toujours dans une recherche de vérité en occultant toute haine gratuite. Un grand film puissant, authentique et beau, qui ne cherche pas à être trop touchant ni trop glorieux dans des grandes batailles ou des grands moments dramatiques pour s'assurer les louanges du public, non, il sonne tout simplement juste. Tant de scènes marquantes qui restent en tête une fois le visionnage terminé : l'émouvante et révoltante séquence finale, l'affrontement déchirant en Alsace, l'incompréhension des soldats quant à leurs mauvais traitements... Je salue l'effort de réalisme en mettant en avant autant la langue arabe que française, cela ajoute encore plus de crédit.


Visuellement c'est du lourd. La réalisation de Rachid Bouchareb est saisissante. Son travail de mise en scène n'a rien à envier au meilleur, on est clairement dans la cour des grands. Les séquences de batailles sont remarquables, d'un réalisme troublant. Les différents costumes et décors sont soignés, le cadre de la confrontation finale dans le petit village d'Alsace est somptueux. Tant de subtilité dans les détails qui rendent cette Seconde Guerre mondiale totalement crédible. Les différentes images et autres cadres traduisent magnifiquement la densité de l'oeuvre qui peut se targuer d'être un grand film, non pas français, mais du genre. Je n'oublierais pas de mentionner les excellentes musiques d'Armand Amar et Khaled qui apporte encore plus d'atmosphère et de substance au spectacle.


Les comédiens sont incroyables, ils incarnent leur rôle avec génie et perfection. Une sacrée surprise ! Jamel Debbouze l'humoriste qui m'agace prouve une fois encore que c'est un brillant comédien, il est formidable dans le rôle de Said. Sami Bouajila, sous les traits du caporal Abdelkader est formidable, il est le pourvoyeur d'espoir de l'unité, celui qui espère que l'injustice de l'inégalité soit interrompue. Roschdy Zem, alias Messaoud amène de la nuance avec son histoire d'amour interdite avec une française qui lui vaudra d'être censuré dans le courrier pour n'avoir aucune nouvelle de sa bien-aimée. Bernard Blancan dans le rôle du pied-noir Sergent Martinez amène beaucoup de contraste avec son personnage tiraillé entre les ordres injustes des dirigeants et ses hommes. Le racisme le rongeant à un point où il refuse d'admettre qu'il est lui aussi un arabe. J'ai beaucoup aimé ce personnage partagé entre deux mondes. Samy Naceri est ma plus belle surprise, il réussit à être juste et crédible dans le soldat Yassir, guidé par l'appât du gain pour son frère. En clair, ils sont tous excellents et ont clairement mérité le Prix collectif d'interprétation masculine au festival de Cannes 2006.


CONCLUSION :


Indigènes est un excellent film sur une part historique difficile au cours de la Seconde Guerre mondiale. Extraordinaire à tous les niveaux, le réalisateur Rachid Bouchareb livre une oeuvre impressionnante, irrésistible, intense, intelligente, dramatique, émotionnelle, nuancée, et pleine de véracités. Une oeuvre qui m'a fait verser quelques larmes, et également transmis le sourire. On s'indigne, on pleure, on exulte, on sourit, c'est maîtrisé de bout en bout. Ce film prouve que le cinéma entre les bonnes mains peut devenir une véritable arme humanitaire et intellectuelle. Il n'est pas polémique de vouloir rétablir la vérité et restituer un semblant de justice. Pour tout cela Indigènes mérite sans la moindre hésitation le statut de chef-d'oeuvre. Bravo à Rachid Bouchareb ainsi qu'à toute la distribution pour ce travail remarquable.


Rarement le cinéma aura atteint une telle grandeur, une telle générosité et une telle utilité.




  • Qu'est-ce qui se passe ?

  • Mon capitaine avec nos frères d'armes français on combat sous le même drapeau. Sur le même terrain. Face au même ennemi. Il faut partager les tomates aussi.

  • ...

  • Les balles Allemandes ne font pas la différence mon capitaine.

  • Sergent, dorénavant quand il y aura des tomates elles seront pour tout le monde.


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le 10 août 2020

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