Etrange que l'un des meilleurs films sur les super héros... Ne mette pas en scène de super héros, justement.


Incassable s'inscrit dès lors dans la droite logique de son wonder boy (à l'époque) de réalisateur, qui venait d'accoucher d'un incroyable Sixième Sens qui façonnait son argument fantastique dans la réalité d'un quotidien pesant, nimbé d'un sens du mystère et de l'inquiétant. Incassable se reflète donc dans la même eau, d'un bleu froid et profond, qui irradie la photographie d'Eduardo Serra. Tandis que les plans d'une lenteur sculpturale et d'une beauté sidérante s'étirent sous la caméra de Manoj Night Shyamalan. Comme dans cette scène, où, tandis que l'on annonce à David Dunn qu'il est le seul survivant de la catastrophe ferroviaire, la respiration d'un corps s'accélère et une tâche de sang grandit, contaminant le blanc des draps sous les quels il repose.


Mais paradoxalement, le film baigne dans une sobriété de presque tous les instants, s'agitant seulement le temps d'une pseudo poursuite qui finira dans la douleur et la compassion d'une chute dans les escaliers d'une quelconque bouche de métro. Etrange une fois encore, tant le genre super héroïque se définit dans l'action. Car si Shyamalan semble tout d'abord en fuir les procédés les plus graphiques, c'est pour mieux s'emparer de toutes les caractéristiques d'écriture des comic books afin de les restituer dans une vie d'ordinaire, de renoncement et de difficultés que nous pouvons tous subir.


Bruce Willis, dans un premier temps, rechigne à jouer les redresseurs de torts. Car Incassable s'inscrit d'abord dans une cellule familiale qui bat de l'aile, comme le donne à penser ces premières minutes qui voient une alliance être cachée et une tentative de rapprochement rapidement avortée. Pas étonnant que l'un des puissants climax émotionnels du film, par ailleurs, prenne pour cadre la cuisine familiale, le temps d'une mise en joug par arme à feu, entre larmes d'un fils et autorité toute relative d'un père qui tourne le dos à sa condition.


Incassable prend son temps pour enfin traduire la transformation de son personnage principal, un homme vide, contrarié, qui a fait le deuil de la destinée qu'il semblait embrasser, en un héros auquel Shyamalan retire le préfixe "super", qui navigue entre le boogeyman et un quelconque caped crusader dans le costume passe-partout qu'il s'est choisi, en étrange relation avec sa kryptonite. Sa naissance au monde, au milieu de la foule, dans une pose prophétique, bouscule par ailleurs l'économie globale du film, dans une succession de plans similaires à ceux d'une caméra de surveillance, tandis qu'il se heurte à ses contemporains et à leurs secrets inavouables.


Ce procédé se répétera comme manifestation ultime de son pouvoir, dans une poignée de mains révélatrice de la véritable nature d'Elijah, loin de la compassion qu'il avait suscité jusqu'ici dans le coeur du spectateur. Miroir déformé de David, extrême inverse du spectre, envisageant sa place et son rôle dans la société via les archétypes dévoyés du comic book, son aspect le plus tragique est démultiplié par la performance de choix livrée par Samuel L. Jackson, tout comme sa folie et son art de la manipulation.


Et la part d'ombres d'éclater en quelques secondes, détruisant l'amitié dans une opposition archétypale et un piège terrifiant, posant la question des moyens et de la fin. Le héros vacille, dans un moment scotchant. Les apparences volent en éclats, comme les os d'Elijah toute sa vie durant.


Et le coeur d'un film jusqu'au bout intime de s'arrêter brusquement, le temps de quelques secondes incrédules.


Behind_the_Mask, ♫ Une vie moins ordinaire...

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le 31 déc. 2017

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