Le jour où un banquier rentre au gouvernement...

Balzac, l’un des romanciers français les plus connus et l’un des plus adaptés au cinéma. Pourtant, lorsque l’on regarde la liste des adaptations de ses œuvres, la plupart se sont faites avant les années 30. Parmi les plus adaptés on retrouve La Peau de Chagrin ou encore Eugénie Grandet dont une nouvelle adaptation est sortie récemment. Cependant, Illusions Perdues n’avait, jusqu’à aujourd’hui, jamais été adapté en film (hormis des films des années 10 et un obscur film hongrois introuvable), peut-être, sûrement même, à cause de sa longueur. En effet, Illusions Perdues est un roman en trois parties cumulant plus de 600 pages, le plus long de Balzac, on peut comprendre que ça fasse un peu peur de l’adapter. Mais bref… enfin nous voyons une adaptation de cette œuvre sur nos écrans. Qu’est-ce que cela vaut ?


Tout d’abord un peu de contexte, le film Illusions Perdues adapte globalement les deux premiers romans. Cependant pour faire tenir le film en 2h30, le récit est évidemment simplifié, on omet notamment certains personnages comme David. Je dois le dire d’emblée, le film se tient et est cohérent. Le travail d’adaptation a très bien été mené, je miserai même une pièce sur un César du scénario adapté.


Par où commencer ? il faut dire que le film est assez dense, tant au niveau des personnages qu’au niveau des décors ou encore de l’ambiance. Nous sommes à Paris, Napoléon Bonaparte est mort depuis quelque temps, les royalistes sont pas aimés, y a du théâtre partout, bref… Paris vit, Paris est grande, Paris bouge, Paris fait rêver le jeune Lucien, mais Paris est trop grande, trop bruyante, trop vivante. Cette grandeur, cet excès de débauche, c’est l’un des points forts du film. On ressent la densité de la vie parisienne et que tout le monde vit à 100 à l’heure. « S’il fallait rater sa vie, il fallait mieux la rater à Paris », voilà une phrase du film, qui va très bien le résumer et bien représenter le jeune Lucien, souhaitant quitter son petit bout de campagne à Angoulême. Il y a un parallèle très facile à voir entre le début du film à Angoulême et l’arrivée à Paris. Cette introduction, calme, paisible, le jaune des champs, du soleil, les blés sont jaunes, le jaune est cette belle couleur naturelle. Mais arrivé à Paris, ce jaune devient artificiel, les dorures, les lumières, le champagne même. Et ce n’est pas que sur l’origine des couleurs que la campagne et Paris se différencient dans le film. Il y a un gros changement au niveau du montage, cette introduction douce, laissant place à une succession d’évènements, des soirées, des rencontres, la vie ne s’arrête pas, tout comme la voix off (on en parlera plus tard) omniprésente. Cependant s’il est intéressant de voir cette différence, qui plus est bien maîtrisée, entre la campagne et Paris, c’est la partie du film que j’aime le moins.


J’ai en effet beaucoup de mal avec le début du métrage, la suite de personnages et de lieux présentés donne rapidement le vertige. On nous présente les rouages de cette société à une grande vitesse, peut-être était-ce voulu ? peut-être que Giannoli voulait nous perdre, mais personnellement, cela m’a beaucoup repoussé dans l’approche du film. L’autre point que je n’apprécie guère est l’omniprésence de la voix-off. Alors oui, c’est vrai que la douce voix de Xavier Dolan est agréable, mais je me suis parfois retrouvé un peu écœuré face à certains monologues incessants du narrateur, à me dire que pour avoir une description de l’état des choses, ce serait mieux de lire le livre.


Je parle des défauts mais ne vous y trompez pas, Illusions Perdues présente bien plus de qualités que de défauts. Les acteurs sont tous superbes et impliqués (même Depardieu a envie de jouer), la reconstitution est très belle (les Césars techniques n’attendent que ce film) et bien évidemment (c’est du Balzac) l’histoire est géniale. Déjà à l’époque Balzac montrait les failles, encore présentes aujourd’hui, de notre société. Vive critique du journalisme, vive critique du pouvoir, présentant des individus tous plus calculateurs les uns que les autres motivés uniquement par l’argent, je reprocherai quand même un manque de subtilité dans certaines scènes. Je pense notamment à une scène où un personnage déclare « un jour ou l’autre, allez savoir un banquier rentrerait au gouvernement ».


Quand on y pense, Illusions Perdues est un pur film de gangsters. Motivés par l’argent, tous les acteurs cherchent à aller plus haut par n’importe quel moyen. Sabotages, pots-de-vin ou chantage, voilà les moyens utilisés par les différents journaux, véritables gangs du XIXème siècle, qui ont chacun leurs protégés, leurs ennemis et leurs traîtres. Comme dans beaucoup de films de gangster, on suit le petit nouveau, il va faire ses preuves, avoir des doutes et devenir de plus en plus important au sein de son gang. Je n’ai pas lu le livre et j’avoue ne pas savoir si cette dimension est elle aussi présente dans le livre, mais c’est vraiment l’un des points forts du long-métrage, qui présente Vincent Lacoste dans un rôle similaire à ce que pouvait faire Robert de Niro dans Les Affranchis et ne rigolez pas, car il est vraiment brillant dans le film.


Illusions Perdues, c’est un film très dense, assurément brillant avec, je trouve, quelques problèmes au démarrage, mais lorsque les rouages sont lancés, rien n’arrête ce film, porté par un Benjamin Voisin monumental. L’un des grands films français de cette année.


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le 15 oct. 2021

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Alexeï Paire

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