Le titre évoque un conte et se réfère explicitement au genre : Alors que trois voitures de police roulent, de nuit, sur les petites routes de l’Anatolie profonde afin d’achever une enquête, le commissaire s’adresse ainsi au docteur :

Là vous vous ennuyez à mourir, mais un jour, ce qui se passe ici vous amusera. Quand vous aurez une famille vous aurez une histoire à raconter, c’est bien non ? Vous pourrez dire : « il était une fois en Anatolie, je travaillais dans un trou paumé. Je me souviens d’une nuit qui a commencé comme ça … ». Vous pourrez le raconter comme un conte. N’est-ce pas docteur ?

Nous sommes avertis, c’est un conte qui se déroule sous nos yeux et les contes ont un but initiatique, ils parlent de ce qui est caché de manière symbolique.

Ce conte anatolien nous transporte donc dans ce trou paumé en compagnie de cette équipe de policiers blasés, fatigués d’en finir, accompagnés des deux suspects. Le but de leur quête : trouver le cadavre enterré quelque part. Cela c’est la quête évidente, l’intrigue principale. Mais au fur et à mesure que le film se déroule, on comprend que l’histoire nous parle aussi d’autre chose, elle nous parle des fausses évidences, des fausses certitudes, des histoires qu’on se raconte parce qu’elles nous arrangent plus que la vérité, du doute, du questionnement, du sens de la vie.

Le suspect n°1, à lui seul, questionne les évidences si on le regarde bien. Son visage hermétique, hébété par le manque de sommeil dont le prive la police jusqu’à ce que cette affaire soit menée jusqu’au bout, trahit à plusieurs moments des émotions fortes qui laissent deviner que tout n’est peut-être pas si clair qu’il n’y paraît. Cet homme va d’ailleurs avoir un impact sur le docteur dont le comportement évolue à son contact.

Le docteur de son côté questionne les évidences du procureur, qui fait partie de l’expédition nocturne, au sujet d’une histoire arrivée à l’un de ses « amis ». Questionnement qui va mener à une révélation douloureuse à accueillir. Et c’est ainsi que les évidences, les refus de questionner davantage tombent. Le docteur a ici un rôle d’initiateur, de sage. Pourtant, s’il aide le procureur à accéder à la « vérité », il est aussi celui qui va jeter un voile sur une autre vérité à la fin du film. Personnage principal du film, c’est aussi un personnage complexe et donc pleinement humain.

Un autre personnage joue un rôle important dans ce conte oriental, un « ange » qui apparaît dans la nuit causée par une panne d’électricité. Cet ange porte une lampe et offre le thé réconfortant. Elle « réveille » ces hommes abrutis par la torpeur de ce travail en pleine nuit. Ils regardent cet « ange » comme surgi d’un autre monde, sans oser croire à sa réalité. Cet « ange » a aussi un rôle d’initiateur et provoque un retournement d’attitude chez le suspect n°1.

A travers les paysages de nuit éclairés par les phares des voitures puis de jour après que l’équipe a passé une nuit sans sommeil, le spectateur est appelé à suivre les personnages, à revisiter ses propres évidences, à se laisser déplacer et au bout du compte à accepter de ne pas avoir toutes les réponses, de ne pouvoir se positionner clairement sur ce qui est vrai ou non, sur ce qu’il faut dire ou ce qu’il vaut mieux cacher. Ce conte est raconté lentement, il faut être dans une disposition spéciale pour entrer dans ce récit et l’apprécier.

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le 9 juin 2022

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abscondita

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