Once upon a time in America est une œuvre où le temps n’a pas de prise, mausolée d’une nostalgie immuable, où l’émotion s’affirme crescendo au rythme d’un opéra romanesque. Dans la vapeur d’un train en gare, à l’ombre des nuées misérables, au cœur de la brume extatique du port, les souvenirs s’évaporent, assiègent l’opiomane d’une plénitude malicieuse. A l’image d’un Martin Eden faubourien, Noodles s’évade dans la parabole de sa vie, débris fumeux d’une destinée ignorée, lorgnée par la rainure du spectre de l’enfance. Testament mélancolique du maestro spaghetti, Il était une fois en Amérique reflète l’ardeur du réalisateur envers son art, pulsions enivrées du souffle incandescent d’une pellicule fécondée.


Coucher mes émotions, témoigner mon oraison, l’incompréhension guette. Ce silence emphatique enferme mes pensées. La mélancolie résonne encore. Leone m’ensorcelle d’une oisiveté convulsive. La page blanche me taquine. Reflet du vide de ma pensée ou absence de jugement ? Leone aurait-il séquestré mon cœur dans son mirage rédempteur ? Son œuvre subsiste dans mon esprit. Impossible de m’en arracher. Le cliquetis de la pendule s’est arrêté.


Le silence règne. Les pas se font lourds. La marche du vertueux se mythifie. Un meurtre bestial, un passage à tabac, de l’hémoglobine tapissant notre incompréhension,… l’animosité galvaude l’image. La violence se fait silencieuse et l’agonie (in)visible. Les ombres frétillent. L’obscurité s’estompe dans la frivolité. Artifice palliatif du désespoir courant. L’appel du passé s’éternise. Un téléphone sonne. Au son anguleux du subtil mobile se dessine la réminiscence d’une fatalité erronée par les flashbacks précipités. La tension monte. Le calme s’installe. Une gare. Un billet. N’importe où. Une tonalité familière. Les espaces-temps s’étonnent. La fresque murale se modernise. Yesterday s’élève dans un sursaut irréel. Un visage flétri, Noodles s’admire dans le miroir de sa vie. Les souvenirs se matérialisent.


Au vieillissement apparent s’accorde la magie d’antan. Hier est aujourd’hui, aujourd’hui est hier. Les photographies illuminent Noodles du spleen indécis. Une trappe clichée. Un refuge dérobé. Un regard inchangé. L’immersion est totale. Fenêtre sur le monde, la déité apparaît, raffinée, remuant sa beauté au milieu des balais. L’effervescence de l’enfance succède à l’accalmie de l’averti. Premières amitiés. Premières complicités. Le vertige Proustien accapare les mouflets. La nostalgie s’empare du spectateur. Les premières larmes émergent. L’acerbe réalité s’abandonne sous les regards liés de ces forbans du pavé. Savoir apprécier la magie d’’un plan, d’une séquence transcendant toute rationalité, Leone en cultive chaque instant. La friandise, la charlotte, madeleine de Proust convoitée par Patsy, s’éclipse dans une scène d’une rare intensité, délectée par un spectateur prisonnier. L’épanouissement est d’autant plus absolu à l’écoute d’une symphonie élégiaque, adoucisseur de la morosité et remède à l’adversité.


Magnifié sous la caméra d’un Leone à maturité, Brooklyn transparaît de majesté (reconstitution stupéfiante de réalisme et d’éclat), à l'image de ce plan légendaire où ces « innocents » brigands déambulent dans un désert métallique, trompés par une Amérique monstrueuse et souveraine. Dans cet élan fataliste, la cruauté s’empare de l’enfance. Une note puissante. Un ralenti. Une fuite chancelante. Morricone fauche l’âme du spectateur, oscillant entre désarroi et impuissance, ensorcelé par une Flute de Pan exaltée. Les longs manteaux flottent dans le vent. Un refuge incertain. Une course torturante. Un sol embrumé. Bugsy se déchaîne. Dominic s’effondre. La faucheuse moissonne l’ingénuité. Noodles se redresse. Aucune échappatoire. Bugsy s’avachi, Noodles langui. Le lyrisme se fait malheureux, Noodles se perd dans les méandres d’une vie incomprise à l’image d’un cinéaste pulvérisé par le système dans lequel il navigue.


Les gangsters ont grandi. La violence et le crime rythment leurs journées. Max et Noodles s’enlacent, se retrouvent, s’apprivoisent. La femme idéalisée (une femme aimée qui ne vieillit pas : à jamais un souvenir, une image inaltérée de beauté) échappe sans cesse à Noodles. A la démesure romantique d’un repas enchanté, les corps s’enchaînent, s’expulsent, profanation de la pureté face au refus d’un amour désiré. Dès lors, la cruauté se fait jour, les souvenirs se dissipent, les regards se croisent ; une fureur mafiesque s’empare des protagonistes. Braquer, tuer, violer,… le temps est corrompu, mais à jamais une affaire de confrères. Frères jusqu’à la mort, loyaux jusqu’au parjure. Tout est une question de trahison, d’énigmes à l’interprétation voilée, altérant la perception du temps. Le crépuscule enfante l’aurore. Des souvenirs, rien que des souvenirs, découlent de Noodles : Max n’est plus qu’une image, une diapositive, un fantôme du passé,… une amitié indestructible que même le présent ne saurait dénaturer.


De ces nuances narratives résulte une fable hallucinatoire dépouillée de toute redondance, Extase artistique, Orgasme cinématographique, antéchronolgique, Leone honore le cinéma de son œuvre. Complexité et clarté se combinent dans un montage dynamique et dramatique, parsemé de raccords somptueux, d’un passé glorieux à un présent ténébreux. Leone émane de chaque morceau de pellicule, à travers des yeux acérés, un plissement de front, une lueur d’un Tuco ou d’un Eastwood dans un jeu de regards, dédicace lyrique du cinéma sur le cinéma. Tout n’est qu’émotion, poésie illusoire coulant dans nos veines, remuant une intensité inégalée, nostalgie d’une existence divinisée par la caméra de Leone. Un film. Une œuvre. Larme à l’œil. Toucher au sublime, côtoyer les anges, l’œuvre parfaite, insurpassable de générosité.


Dans un nuage de fumée, Noodles s’émancipe du factuel, fantasme la magnificence d’une amitié passée. La fumerie d’opium, symbole d’une temporalité figée, refuge des vestiges nébuleux de l’être. La fumée imprègne ses poumons d’une douce mélancolie, les souvenirs s’envolent en une spirale chimérique, enivré par la délivrance d’un cauchemar sous opium. Noodles balaye le Temps qui se dérobe à lui, jubile de l’éternité d’un passé incorruptible. Ses lèvres se dilatent à l’image d’un bonheur fuyant. Un sourire contemplatif. Enigmatique. Non, une évasion bercée d’illusions. Le spectateur se l’approprie, se déride, sourit avec lui. Le film ne fait plus qu’un avec son spectateur, habité par une sensibilité aérienne, hors de toute temporalité.


END CREDITS / FINAL CUT


Quatre heures sont passées. Ces précieuses secondes continuent de défiler, suspendues à l’écho émotionnel. Elles ne s’arrêtent pas. Le temps passe, se fige dans une beauté éternelle. Mes yeux se ferment. Le film éclaire mon esprit. Des bribes. Des images. Des bruits. Une Musique. Des gamins. Un pont. Un ralenti. Une flûte de Pan. Tant de motifs qui m’interrogent, s’entrechoquent, caressent ma sensibilité, ébranlée par ce spectacle d’illusionniste. Once upon a time in America est un souvenir à lui seul. Une expérience. L’essence même du cinéma. Se perdre dans un regard, s’enfermer dans l’irréalité passée, admirer la mélodie d’une vie, regretter les rêves de liberté, verser une larme pour ce chef d’œuvre passionné… la déchirure est telle, architecturale et fastueuse, statufiée par Leone dans sa beauté éternelle.


Tears, memories and daydream !

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le 28 mars 2016

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blacktide

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