Hunger Games c'est un peu la personne et la machine : comment l'individu est nié et arraché à lui même pour l'imbriquer dans des structures plus larges. La saga se pose dans un contexte tout aussi intéressant, elle qui va prochainement toucher à sa fin. Le début d'une conclusion qui semble déjà claire et cadrée s'entame en cette fin d'année. Il est amusant de voir comment depuis quelques années le cinéma assiste à des sortes d'Hunger Games pour prendre la place d'Harry Potter. Une lutte sauvage pour la suprématie entre différentes franchises qui pourtant semblent toutes un peu foireuses comparées à leurs ambitions d'occuper le trône. C'est marrant on pourrait presque tirer un parallélisme avec une série très (trop?) connue où abondent complots, trahisons et manigances machiavéliques... Une comparaison, bien que loin d'être parfaitement adéquate, à laquelle j'aimerais revenir.
Je crois que Hunger Games a toujours eu deux niveaux d'appréciation : le plaisir de l'action, du blockbuster transitif mais aussi une volonté de critique et de réflexion toujours présente. C'est pour moi surtout l'agencement de ces deux facettes qui lui accorde son statut d'oeuvre pour "jeunes adultes", plus que n'importe quelle autre raison. Les idées esquissées par la saga n'ont souvent justement parues que des esquisses, en arrière-plan face aux enjeux plus directs de survie et d'émotions. Pourtant, plus l'intrigue se déploie, plus il me paraît évident qu'il s'agit des traces de pensées qui m'avaient atrocement hanté juste à la fin du premier film qui au fur et à mesure se placent au centre de tous les enjeux. En gros des implications en arrière-plan, mais si tu les voies pas t'as rien compris.


Du coup, en cette fin d'année nous est donné le volet qui pour beaucoup s'annoncera comme le moins enthousiasmant, une longue attente de deux heures visant à allonger inutilement une histoire qui de toute façon n'est pas aussi grandiose que ça. Sans nier les faits, c'est justement ce point de vu que j'aimerais nuancer : pour moi Mockingjay (La révolte pt. I) est la réalisation de ce que Hunger Games était censé être depuis ces débuts. L'aboutissement des intentions de l'intrigue arrive à son comble dans cet opus, d'une manière que la suite n'arrivera surement pas à atteindre car trop occupée par la préoccupation de nous donner un final explosif.
J'ai l'impression de traîner un peu, mais avant de mettre au clair ce que j'ai cru percevoir dans Mockingjay, il m'est important de récapituler. En gardant toujours un ton cynique et désenchanté allant parfaitement de pair avec le monde qu'elle nous présente, la saga nous à d'abord présenté Katniss Everdeen comme une jeune femme farouche et obstinée. Confrontée pour la première fois aux Hunger Games, elle est déterminée à s'opposer au système et a ses dictats en refusant de devenir la figure que l'autorité attend qu'elle devienne. Le premier film se finissait sur une touche incroyablement amère lorsque l'on constate que bien que Katniss survit et triomphe à sa propre manière, elle ne peut résister à l'ébranlable force du système qui la formatise en starlette omniprésente n'ayant strictement rien à voir avec sa vraie personne. Un final brutalement doux-amer pour quiconque s'attendait à voir l'héroïne gagnante nous mène sur le chemin de Catching Fire (L'embrasement), la deuxième partie de l'épopée. Tout le brio de cette suite pour moi se trouve dans le fait de se concentrer sur son personnage principal et sur ses affects. Katniss se retrouve donc brisée, traumatisée, une coquille vide soustraite de son identité et qui ne peut concilier le sourire plastique que lui oblige à endosser le système avec son expérience individuelle. Un conflit d'identités entre ce que Katniss est et ce qu'on l'oblige à être. Catching Fire met également en place l'élément de la rébellion qui va prendre consistance dans sa continuation.


Ce qui nous amène enfin a Mockingjay. Le film rompt avec le schéma établit précédemment : ici pas de jeux et de l'action en très petites doses. Qu'est ce qui reste ? Un film finalement très calme. L'importance est donnée aux enjeux politiques, j'ai trouvé Mockingjay très intéressant dans la dimension où il est en quelque sorte un film (donc une vison romancée) sur le making-of (donc l'objectivation) d'une révolution. En Histoire on m'avait dit que la Révolution Française n'était probablement pas l'oeuvre d'un peuple pour son propre bien, tel qu'on l'aime l'idéaliser, mais plutôt l'orchestration d'un petit groupe bourgeois pour pouvoir accéder au pouvoir. Ça peut se comprendre de façon plus générale : toute révolution à besoin de sa partie la plus évidente, le concret, les émeutes et les protestations, la puissance de la foule ; mais à cela s'ajoute le besoin d'une organisation et d'une orientation pour donner un sens aux actions, qui sinon se dispersent et s'amenuisent. Mockingjay s'efforce à couvrir cet aspect d'orchestration de la rébellion, posée comme une sorte d'échiquier où se jouent manipulations méticuleuses, trahisons et intérêts. Un peu à la Thrones, si vous voulez. Ça peut ne pas s'avérer particulièrement frappant au premier abord, mais tout paraît plus clair si l'on distingue le conflits d'intérêts. Ainsi mon but premier dans cet écrit est de séparer Katniss de la rébellion comme deux forces séparées. L'héroïne a qui l'on avait imposé une identité toute fabriquée se retrouve dans une situation similaire dans le camp opposé. La personne se sépare de "Mockingjay", l'idéalisation que l'on veut en faire, et au fur et à mesure que la tension monte les intérêts partent dans des directions différentes. La situation de Katniss ne change donc pas, elle se trouve toujours volée de sa vie et de ses sentiments, forcée à sacrifier sa personne pour une cause dont elle ne veut forcément pas. Il est ainsi atroce de voir que cette surmédiatisation dont elle était déjà victime est toujours à l'oeuvre, bien que provenant de sources différentes, incarnées dans le personnage de Cressida (soit Natalie Dormer, Margaery Tyrell dans Game of Thrones). Katniss se retrouve à plusieurs moments face à des situations traumatisantes lui causant un choc émotionnel qu'elle peut à peine contenir, et la présence omniprésente des caméras l'oblige à transformer ses peines et souffrances dans un message de ralliement politique. L'individu est sacrifié pour le symbole, la personne avalée par la cause, nul ne pense à apporter réconfort ou aide psychologique à l'héroïne mais juste à l'utiliser : la saga s'obstine depuis ses débuts à nous montrer comment sa protagoniste n'est qu'un outil de propagande. De cette manière, le choix entre les deux possibilités romantiques tout comme l'obsession que Katniss éprouve envers Peeta se comprend sous un nouveau jour : pas forcément comme un sentiment amoureux, mais comme le besoin d'être comprise par quelqu'un qui a vécut une expérience similaire.


Bref Hunger Games c'est cool, mais je dirais que c'est dur d'apprécier le message si l'on adhère pas à l'univers de base, première étape que j'ai eu tout de même du mal à surmonter. Comme il devient l'habitude dans mes critiques, comprenons que je me concentre ici sur un aspect singulier de l'oeuvre et qu'il n'est en aucun cas mon intention de vouloir la juger en sa totalité ou en sa portée cinématographique. Reste que la saga des Hunger Games, en ce qui me concerne, montre qu'elle a quelque chose à dire : une portée et un message. Je ne peux éviter ressentir une certaine curiosité quant au destin réservé à Katniss, mais pour l'instant je suis satisfait de voir vers où vont les choses, ce volet m'a bien plu et puis haters gonna hate, moi je m'en vais méditer sur l'homme et la machine en chantonnant la chanson du Hanging Tree.


https://www.youtube.com/watch?v=ZKAM_Hk4eZ0

Vagabond
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le 23 nov. 2014

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