Humanisme sans angélisme
Le mot lui-même, autisme, n'est presque jamais prononcé dans Hors normes, non pour nier cette "différence" mais plutôt pour éviter de coller une étiquette tellement réductrice et bien pratique...
le 23 oct. 2019
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Hors Normes a toutes les lourdeurs de cette frange sociale du cinéma français contemporain, frange qui considère le film non pas tant comme une œuvre d’art que comme une tribune politique du haut de laquelle crier l’humain dans sa différence fondamentale. Que le thème principal soit poignant, aucun doute là-dessus. Que l’idée d’intégrer un duo d’acteurs professionnels au sein d’un microcosme où les personnes souffrant de handicap interprètent leur propre rôle – qu’ils jouent et déforment pour l’occasion – permette au spectateur de bénéficier de figures tutélaires pour s’identifier et s’investir de façon plus immédiate dans le récit, excellent choix. L’humain est magnifique dans Hors Normes. Ou du moins la partie positive qui le compose, dessinée par l’opposition manichéenne entre une administration froide et méchante d’une part, le personnel sensible et volontaire d’autre part. C’est reconnaître ici que l’œuvre de Nakache et Toledano, derrière sa volonté sincère de rassembler une communauté de spectateurs autour d’une thématique peu représentée et délicate, ne prend pas le risque d’offrir à cette dernière la forme qu’elle mérite : les réalisateurs s’obstinent à redoubler l’urgence par un pathétique forcé qui non seulement alourdit beaucoup l’ensemble, mais le raccorde au feel good movie lambda. Dès lors, le personnel en marge (à savoir les enfants handicapés) se transforme en entité interchangeable, pouvant aisément glisser d’un support à l’autre sans que la forme qui les portait et qu’ils animaient n’en soit bouleversée.
Le film souffre ainsi d’une comparaison inévitable avec Give Me Liberty, petit bijou sorti quelques mois auparavant et qui, par une esthétique de l’urgence, n’hésitait pas à bannir l’utilisation de musique tire-larmes et de plans à l’imagerie convenue pour donner naissance à une forme neuve et audacieuse. En enfermant ses spectateurs dans le quotidien du jeune Vic, quotidien marqué par une extraordinaire instabilité, Kirill Mikhanovsky leur donnait à voir et surtout à vivre cette routine déroutante par un contact direct avec les protagonistes. L’urgence cessait d’être le rythme d’un long-métrage pour s’emparer des pulsations cardiaques du spectateur. Il y avait unisson. Hors Normes, au contraire, appuie la démonstration, exagère l’émotion qui, au lieu de s’extraire naturellement de situations pourtant bouleversantes, tend à contraindre la spontanéité, à tuer l’instant. Le pire étant la longue, trop longue clausule composée d’une alternance de panneaux destinés à sensibiliser le public et de séquences révélant l’envers du décor. Ou comment briser avec insistance la foi en la fiction, la foi en le cinéma. Cette impression s’avère néanmoins désamorcée par des interprètes grandioses, aussi touchants que drôles, fragiles que tenaces. Et là se tient la principale qualité du film : parvenir à atteindre une émotion à fleur de peau où le chaleureux cohabite avec la menace sourde d’une chute imminente, d’une crise à venir, d’un drame latent. Entrelacer les tonalités fonctionne à merveille et réserve quelques beaux, très beaux moments dont il serait dommage de se priver.
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le 10 oct. 2019
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