Avant de parler des sujets qui fâchent, je vais commencer de manière charitable. Honnêtement, à la limite, si une bonne heure de lourdeur propagandiste avait été coupé pour resserrer 长津湖 La Bataille du Lac Changjin sur ses deux grosses scènes d'actions, cela aurait pu donner une série B de guerre musclée correcte. Parce que je n'avais vu aucun film de 林超贤 Dante Lam jusqu'à présent et, hormis quelques ralentis un peu grossiers, je suis plutôt agréablement surpris par la qualité des scènes d'actions. Elles sont dans l'ensemble efficacement mis en scène et ont le mérite de ne pas être toute propre (après évidemment la question de la complaisance surtout sur un tel film doit être posé, mais je trouve que c'est loin d'être le pire défaut dans ce film). Sachant que d'une certaine manière, il aurait été à mon avis bien pire de faire de ce film quelque chose de lisse et propre, alors qu'il raconte une bataille particulièrement meurtrière de cette guerre... (avec en plus beaucoup de militaires morts de froid du fait des températures)


Maintenant, il faut parler des problèmes. Alors parlons de l'IN-TER-MIN-ABLE, tartine de propagande glorifiant l'intervention Chinoise dans la guerre de Corée.


En effet, le film fait trois heures quand même et... c'est long… et c'est grossier.


À peine 5 minutes passées, on est dans un monde parallèle avec une Guerre de Corée dont les États-Unis seraient à l'origine. C'est évidemment une reprise mot pour mot des éléments de langage Chinois sur ce conflit (« résister à l'Amérique, aider la Corée »). Historiquement, cela n'a de sens que si l'on « oublie » la première phase de la guerre. Contexte : elle démarre -si l'on veut être charitable pour la Corée du Nord et la Chine- par un conflit à la frontière entre les deux Corées et des déclarations belliqueuses de la part de 김일성 Kim Il-Sung comme 이승만 Rhee Syng-Man, les deux dirigeants Coréens qui n'appartenaient pas à la catégorie des enfants de chœur. Cependant, la Corée du Nord, dans une première phase, passe la frontière et se rapproche dangereusement de la conquête totale de la Corée du Sud. Les États-Unis (au passage, ils n'agissent pas seuls, pour le coup ils ont même un mandat de l'ONU) n'arrivent que dans une deuxième phase par peur que la Corée du Sud disparaisse. Après, dans cette deuxième phase, comme dit dans le film, par peur que les troupes États-Uniennes arrivent jusqu'à la frontière Chinoise (un risque qui est quand même montré dans le film de la manière la plus lourde possible), ces derniers interviennent effectivement.


Au début de cette guerre, la Chine était plus préoccupé par la réaction des États-Unis que cela pouvait entraîner autour de Taïwan plutôt que par la Corée en elle-même (ils n'ont pas digéré qu'Harry Truman fasse placer un porte-avion Américain entre la Chine Continentale et Taïwan empêchant tout projet d'invasion à court terme), chose plutôt bien montré dans le film. Toutefois, si Taïwan apparaît comme n'étant pas la Chine, son existence propre n'est pas envisageable. Ainsi, il est sous-entendu que l'île est sous domination Américaine, à la fois pour nier son auto-détermination et à la fois pour accroître l'antagonisme Chine/États-Unis.


Chose amusante, le parti pris en faveur la Corée du Nord se fait jusque dans la façon de parler de la Corée, puisque dans le film, à chaque fois, en Chinois, la péninsule est désignée par le terme 朝鲜 qui est une transcription Chinoise du terme Nord-Coréen pour désigner la Corée en opposition à 韩国 le terme Sud-Coréen (parce que les noms Coréens et Chinois des deux Corées sont pour chacun une manière différente de se légitimer comme la vraie Corée et n'ont pas grand-chose à voir avec nos désignations françaises).


Même si on comprend vite que le « putain d'impérialisme Américain » (c'est un vrai dialogue du film, même si les gros mots ont été « oubliés » dans la version que j'avais des sous-titres du film), est désigné comme l'ennemi, jamais, à l'inverse, les Coréens, censés être les premières victimes de cet impérialisme, ne sont humanisés, même de manière caricaturale ou orientaliste. Ils ne sont purement et simplement jamais montrés. Ils sont parfois mentionnés, mais ne sont in fine qu'une abstraction face au réel conflit qui intéresse les Chinois (en tout cas à l'heure de ce film) : leur démonstration de force pour faire reculer les Américains militairement. D'ailleurs, les Sud-Coréens n'ont pas des masses apprécié une telle instrumentalisation de la Guerre de Corée, visiblement peu convaincu de « l'anti-impérialisme Chinois » pendant la Guerre de Corée.


Évidemment, 吴京 Wu Jing, au-delà de représenter ce plaisir coupable de ma part qu'est la Wu Jingsploitation, incarne le Chinois irréprochable, modèle de réussite de la Chine Maoïste. Là, pour le coup, c'est plutôt bien vu d'utiliser les réformes agraires se déroulant en parallèle de cette guerre comme raisons des Chinois pour se battre au nom de la Chine Communiste (même si cela implique d'oublier les violences que cette réforme a entraînées et de se concentrer uniquement sur ceux qui en ont profité).
De même c'est plutôt bien vu de faire du Général MacArthur l'ennemi étant donné qu'il s'est fait placardiser par le président Américain de l'époque pendant cette guerre suite à des positions extrême (il voulait vitrifier la Mandchourie à coup de bombes nucléaires, rien que ça). Bref, c'est l'ennemi idéal, même si c'est clairement une pirouette pour permettre une vision bien outrancière de l'armée Américaine à peine développée, à part pour montrer leur puissance matérielle afin que la victoire des Chinois et la détermination des Chinois mort au combat n'en paraisse que plus impressionnante.


Par ailleurs, le film donne un petit arc narratif à 毛岸英 Mao Anying (un des fils de 毛泽东 Mao Zedong). Il a le droit à un hommage lourd (pour dire le moins), quelque part incontournable vu le sujet du film, mais quand même étonnant, car la mort de Mao Anying est un sujet compliqué. En effet, cela a entre autres potentiellement eu des conséquences aggravantes dans la dégradation des rapports entre Mao Zedong et 彭德怀 Peng Dehuai, le ministre de la Défense pendant la guerre de Corée qui est montré comme un héros dans ce film (un grand bond en avant et une révolution culturelle plus tard ça ne s'est pas super bien fini pour lui).
Cependant, c'est intéressant de voir comment ce film revient là-dessus, au point où c'en est limite drôle tant sa mort à l'air d'un sacrifice inutile, car il faut à la fois coller à la réalité des grandes lignes de sa mort, mais en même temps sortir les ficelles narratives afin de bricoler jusqu'au ridicule un petit truc héroïque ainsi que quelques clichés dans les rapports père-fils, parce que c'est le fils du Grand Timonier, il ne PEUT PAS avoir eu une mort tristement absurde lié à la cruauté pourtant ordinaire d'une guerre de la sorte. C'est inconcevable.


Finalement, ce dernier point est pour moi d'une certaine manière à l'image de ce que je trouve à la fois assez fascinant comme assez ridicule dans ce film. S'il est possible dans La Bataille du Lac Changjin de penser et montrer allègrement la violence de la guerre, à l'inverse montrer l'absurde et le moindre poil de complexité dans la guerre est par contre inimaginable (au-delà d'une ou deux petites phrases pour se dédouaner, mais qui est contredite par la manière dont le film parle du sacrifice des « grands Héros » ou du moins des personnages ayant eu a minima plus de 30 secondes de développement à l'écran). Cela au point de trouver des stratégies jusqu'à l'absurde pour pouvoir tourner les événements à la faveur de la Chine. Alors clairement, c'est l'illustration même qu'il s'agit d'un film de propagande et bien sûr les Chinois sont loin d'être les seuls à faire des films de guerre révisionnistes à outrance (les États-Unis le font depuis des années), mais j'avais envie de m'attarder sur ce film, car je m'intéresse pas mal au cinéma Chinois et de fait, La Bataille du Lac Changjin un phénomène en Chine avec un énorme box-office de 913 millions de $ (et ce malgré le covid). De plus, c'est particulièrement intéressant d'observer la manière dont la Chine se voit, voit ses voisins ainsi que pour l'image qu'elle veut renvoyer.


PS : Pour la défense de Tsui Hark, il n'a pas l'air d'avoir réalisé grand-chose sur ce film, ou en tout cas sa patte semblait très faible, voire absente, et je ne dis ça que pour l'excuser et m'enfoncer dans une forme de déni à la gloire d'un de mes réalisateurs préféré. En effet, dans une émission récente d'un podcast de qualité, Arnaud Lanuque semblait dire que ce film est bien plus l'œuvre de Dante Lam que de Tsui Hark. Cependant, les scènes que ce dernier a tourné seront surtout présentes dans la suite, car oui, réjouissez-vous, une suite est déjà sortie en Chine du fait d'une capitalisation efficace sur le succès de la saga. Quant à Chen Kaige je ne sais pas trop de quoi il est responsable sur ce film. Malheureusement, comme Huang Jianxin qui semble avoir participé lui aussi (mais en tant que producteur) à cette saga, ces réalisateurs, auteurs par le passé de films qui ont fait la grandeur de la cinquième génération de cinéastes Chinois, semblent de plus en plus cantonnés à ce genre de films de propagande.

Noe_G

Écrit par

Critique lue 423 fois

9

D'autres avis sur Heroes - The Battle at Lake Changjin

Heroes - The Battle at Lake Changjin
Mak75
6

Tsui Hark muselé

Tsui Hark est l'un des plus grands réalisateurs de la grande époque du ciné HK. Un réalisateur virtuose et anarchiste qui n'hésitais pas à mettre du poil à gratter là où ca faisait mal. Encore...

le 26 juil. 2022

1 j'aime

Heroes - The Battle at Lake Changjin
AntoineRA
6

Critique de Heroes - The Battle at Lake Changjin par AntoineRA

The Battle at Lake Changjin s'impose d'emblée comme le plus gros blockbuster chinois, au vu de son budget faramineux équivalent à 200 millions de dollars. Le projet est tellement ambitieux qu'il a...

le 5 avr. 2024

Du même critique

La Nuit des masques
Noe_G
3

Massacre générique

Il est rare que je n'aime pas les films considérés comme de grands classiques, mais pour le coup je n'arrive pas à me résoudre à mettre une bonne note à La nuit des masques. On me préviens dans...

le 13 août 2016

29 j'aime

12

Mulan
Noe_G
2

De la Disneyisation du Wu Xia Pian.

Dans cette bafouille, je vais clairement tirer sur l'ambulance car à mon avis ce film ne mérite que cela, mais avec quelques limites tout de même. Je ne vais par exemple pas m'attaquer au...

le 6 sept. 2020

27 j'aime

3

Conjuring 2 - Le Cas Enfield
Noe_G
5

Entre l'acte de foi et le besoin de fraicheur

Arriver à Perpignan début juillet, assez souvent, c'est comme rentrer dans un four en mode cuisson instantanée. On se met à chercher des endroits qui permettent d'échapper à l'état de poulet rôti ou...

le 5 juil. 2016

16 j'aime

13