Pour un premier film, Ari Aster donne un grand coup de pied dans la fourmilière du cinéma horrifique. Hérédité s’inscrit dans cette nouvelle mouvance du cinéma de peur qui terrasse le spectateur autant par son ambiance anxiogène, aride et malaisante que par ses soubresauts d’épouvante épidermiques.


Durant ce film, qui dure plus de 2h, Ari Aster tisse sa toile pour défricher l’enclos familial dont les frontières deviennent de plus en plus perméables, et qui sont dessinées autour des traits d’une mise en scène magnifiquement orchestrée et autour d’un rythme funambule. Dès le départ, dès le premier plan, le cinéaste condense son antre et ses personnages, déploie leurs limites et leurs marginalités à travers les maquettes et les répliques miniatures créées et fabriquées par la mère de famille, afin de montrer que tout ce petit monde bourgeois n’est en fait que des poupées impuissantes face à ce qui va leur arriver, voire même qu’un amas de marionnettes assujetti à une force qui les dépasse tous. Le film vient tout juste de commencer, et les personnages sont déjà piégés dans un enfer dysfonctionnel incontrôlable.


Alors que la grand-mère vient de passer l’arme à gauche, un certain nombre d’événements plus ou moins paranormaux vont venir chahuter chacun des membres de cette famille jusqu’au drame se déroulant à mi-parcours du film, particulièrement stridant, percutant et inattendu, et qui va exacerber les colères et les névroses de tous les protagonistes. Excepté durant le climax final, qui s’avère être d’une force assez spectaculaire dans sa manière d’appréhender l’horreur et les codes graphiques du genre, Hérédité se superpose comme étant un dessin sans fin d’une sensation de cauchemar éveillé et chétif, et voit sa violence s’exprimer par le prisme de dialogues ciselés, voire même de monologues incendiaires putréfiés, mais aussi et surtout par cette réalisation, qui se mue en exercice de style formaliste assez époustouflant.


De prime abord, on pourrait facilement penser qu’Hérédité suit les traces d’innombrables films qui ont décrit la maison comme une source d’horreur, comme lieu commun de l’infection de la déshumanisation, espace clos flippant, tout en plongeant plus profondément dans les angoisses personnelles : cependant, le film d’Ari Aster est bien plus que cela.


Loin des franchises telles que The Conjuring ou Ouija, Hérédité est un film de genre, qui se rapproche plus d’un drame psychologique à la Roman Polanski que du film d’horreur frontal, se servant plus du malaise que de la peur primitive : le film s’accapare la culpabilité de chacun, la haine de soi et l’amour mortifère des membres de la famille pour accentuer la promiscuité du drame humain avec l’enjeu horrifique et esthétique. Il y a quelque chose de rafraîchissant dans la manière magistrale dont Aster examine la nature insidieuse de l’inertie familiale tout en jouant sur la très réelle peur de ce que nous héritons de nos parents et ce que nous transmettons de générations en générations.


Ce sentiment d’obligation que le film se donne à vouloir esthétiser chaque détail, à maîtriser chaque geste, à cadenasser chaque prestation d’acteur, évacue malheureusement toute forme de sensorialité et de spontanéité, mais accroit heureusement la claustrophobie de l’univers dépeint, qui se veut tout aussi chromatique que sombre dans sa lumière. Cette capacité qu’à l’œuvre à vouloir garder son sang-froid et à ne jamais se séparer d’une certaine forme de réalisme malgré des touches spirituelles et démoniaques qui foudroient en fin de film, lui permet d’amplifier son atmosphère délétère dans n’importe quelle situation et d’acérer ses thématiques avec puissance : que cela soit dans un repas de famille qui part en vrille suite à des non-dits qui écrasent l’inconscient de chacun, ou par l’arrivée du mal en pleine salle de classe ou même durant une soirée adolescente qui tourne au cauchemar.


Psychodrame sur les relations maternelles, et exploration partielle de la folie héréditaire, Hérédité est un film qui refuse de se transformer en une définition même de l’horreur : le film affiche ses exactions horrifiques avec finesse et une terreur latente. Hérédité, c’est comme si la fascination plastique et les méandres familiaux de La Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos rencontraient les pulsions musicales d’épouvante satanique de The Witch de Robert Eggers : une peinture horrifique aussi époustouflante qu’éreintante.


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Velvetman
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le 16 juin 2018

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