Dans l’univers futuriste imaginé par l’américain Spike Jonze, la voix féminine d’un système d’exploitation particulièrement sophistiqué peut finir par incarner la vie sentimentale de Theodore Twombly, un homme sensible qui se remet mal d’une rupture, s’enfermant depuis dans une existence solitaire et retranchée. Dans l’avenir assez proche dessiné par le réalisateur de Dans la peau de John Malkovich, dont il faut rappeler qu’il vient de la pub et de la mise en image de clips musicaux, les hommes ont toujours des peines de cœur, un travail (qui apparait pour le coup incongru et anachronique compte tenu des possibilités offertes par les avancées technologiques ), mais n’ont plus de problèmes de logement (un simple employé vit dans un loft luxueux au sommet d’une tour à Los Angeles) et ont, semble-y-il, perdu toute faculté de discernement et de questionnement. Lorsque la ‘relation’ se développe entre Theodore et celle qui s’est baptisée Samantha, le garçon ne voit aucune anomalie à parler tout seul, à développer des conversations (et pas que) avec une ‘voix’ virtuelle et irréelle.

Aux deux idées directrices qui semblent présider à l’élaboration de Her, on opposera aisément comme une fin de non-recevoir, une incapacité à traiter son sujet. En premier, pour ce qui est du progrès à communiquer avec un ordinateur intuitif, on rappellera juste à Spike Jonze que Stanley Kubrick traitait, avec autrement plus d’intelligence et d’ambivalence, l’invasion technologique dans 2001 : l’odyssée de l’espace (1968, tout de même). Deuxièmement, pour ce qui concerne l’illusion ou le fantasme à s’inventer une vie qui ne serait pas celle de la solitude subie et prolongée, eh bien on réécoutera les chansons prophétiques de Dalida (Pour ne pas vivre seul) et d’Alain Souchon (Ultra moderne solitude). En quelques minutes, ces chansons suffisaient à témoigner d’une situation éternelle et dégradée depuis par la numérisation de l’époque. En ce sens, Spike Jonze n’invente rien et l’avenir qu’il hypothèque (où la révolution est d’abord architecturale puisque Los Angeles ressemble dorénavant à Shanghai) n’est donc en somme qu’une exacerbation du contemporain.

En faisant tomber amoureuse la voix de son client, le film s’écrase complètement en commettant un énorme contresens. Cette option de jouer l’anthropomorphisme renvoie donc le film à une sorte de bluette dont on n’évoquera même pas, par charité, la mièvrerie et la banalité des dialogues. De plus, le metteur en scène de Max et les maximonstres se révèle un petit joueur guère audacieux quand il plaque sur la scène d’amour virtuelle entre Theodore et Samantha un écran noir, prouvant son incapacité à faire œuvre de cinéaste et excluant un peu plus le spectateur, qui n’en peut mais de voir pendant deux longues heures où rien n’évolue vraiment une pale copie de ceux qu’il ne manque pas de croiser chaque jour, écouteur calé au fond de l’oreille, ânonnant des propos confondants ou des confessions intimes et impudiques. Tout ceci demeure donc sans danger ni audace et produit ainsi un film toc et faussement branché (la voix de Scarlett Johansson qui pousse même la chansonnette, la musique de Arcade Fire et de Owen Pallett, toutefois préférable aux nappes sirupeuses de piano).
PatrickBraganti
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le 25 mars 2014

Modifiée

le 26 mars 2014

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