Trois ans après avoir offert au monde une des épopées les plus fortes, les plus lyriques et les plus romantiques avec son foudroyant The Last of Mohicans, le cinéaste Michael Mann revient à un univers qu'il ne connait que trop bien, qui fait clairement partie de son ADN: celui des gangsters.


S'inspirant en partie d'une véritable affaire criminelle déjà à l'origine de son téléfilm L.A. Takedown en 1989, Michael Mann en signe une sorte de relecture, plus longue, plus ambitieuse (changement de média oblige), poussant son univers urbain à son paroxysme en reprenant deux figures importantes de sa relativement jeune (à l'époque) filmographie: celle du truand aspirant à autre chose, déjà magnifiée par James Caan dans le superbe Thief, et celle du chasseur tenace et obsessionnel, déjà illustrée d'une bien belle façon dans Manhunter.


Nanti d'un budget de 60 millions de dollars et d'un casting à faire baver d'envie le Robert Altman des grands jours, Heat est un colosse, une putain de fresque épique qui pose direct ses couilles sur la table, impressionnant toujours la rétine vingt ans après sa sortie. Il n'y a qu'à (re)voir la mythique scène de la banque pour s'en convaincre, modèle de scénographie gérant l'espace avec maestria et provocant une tension et un impact encore jamais ressentie par le spectateur.


Mais derrière le récit choral ample, derrière les séquences cultes, derrière la distribution maousse costaud (de Robert DeNiro à Al Pacino, en passant par Val Kilmer, Ashley Judd, Tom Sizemore, Wes Studi, Jon Voight et j'en passe, ils sont tous parfaits), derrière l'ambition folle d'un script d'une précision implacable, se cache un face-à-face intimiste, une traque quasi-surnaturelle entre les deux faces d'une même pièce. La réunion au sommet de deux des plus grandes stars de l'époque, celle qui faisait fantasmer les cinéphiles depuis des lustres, et qui trouve ici une concrétisation aussi fugace que pertinente. Même si Michael Mann réussit le tour de force de ne jamais laisser de côté le plus petit second rôle, chaque protagoniste trouvant sa raison d'être dans cet échiquier à taille humaine, il se concentre avant tout sur ses deux anti-héros que tout oppose, mais qui partagent cette existence fantomatique, toute entière vouée à leur "art", au détriment du reste.


Comme il l'avait déjà fait auparavant, Michael Mann fait de son cadre une entité bien vivante, un réceptacle contenant toutes les failles et les démons de ses personnages, poussant sa mise en scène et son utilisation du 35mm dans ses derniers retranchements. Grâce à la sublime photographie de Dante Spinotti, il parvient à capter l'énergie et l'atmosphère à la fois planante et anxiogène de Los Angeles avec une puissance remarquable, annonçant ses futures expérimentations à venir.


Inutile de tortiller du croupion pour déféquer correctement dans l'axe souhaité, Heat est clairement le sommet de la carrière fascinante de Michael Mann, l'Everest du film de casse. Jetant tout glamour aux orties, n'oubliant personne aux passage, Heat est une oeuvre foisonnante, aérienne, impressionnante, sensorielle, romantique, subtile et tragique, qui demandera peut-être un certain effort de concentration mais qui, en retour, vous ouvrira les portes d'une félicité pelliculée ultime.

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le 18 sept. 2016

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Gand-Alf

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