Comment parler de la maladie, de soi, sans tomber dans le pathos, le misérabilisme ? En composant un personnage, en évitant la musique style "violons" et compagnie et, surtout, sans chercher à tout prix à faire pleurer, répond Solveig Anspach. La réalisatrice débarquait, cette année-là, du documentaire pour raconter la vie en fiction. L’hôpital y est bien présent dans toute sa crudité et sa nudité : néons blafards, malades hagards mais personnel humain. Le film commence d'emblée sur la naissance à venir. C'est pour elle que se battra d'abord Emma, en changeant de médecin. D'ailleurs, le premier paraît sinistre, quand le second (inégalable Philippe Duclos) apparaît comme un souffle, une respiration.

Dès lors que la caméra s'empare d'Emma, c'est presque pour ne plus la lâcher, s'attacher à ce visage qui ne renonce jamais même dans les larmes. Au plus près d'elle, de ses émotions, de son refus de l'abattement, on reconnaît la force d'un combat gagné. Oui, Solveig Anspach raconte la maladie du point de vue de celle qui s'en est sortie. Mais sans mentir, sans cacher les renoncements de chacun (le frère) ou sans les rendre héroïques (le mari). La musique apparaît quelquefois (Emma est elle-même musicienne, de cet instrument imposant qui la fatiguera ensuite : la contrebasse), jamais dans les scènes les plus difficiles, mais pour ponctuer une transition, un moment plus joyeux. D'ailleurs, elle est joyeuse. Ceux qui entourent Emma ne sont pas des faire-valoir, ce sont des êtres entiers, complets, apeurés qui soutiennent, aident ou fuient. Ils sont complexes. Avec une simplicité souvent déconcertante, la réalisatrice filme comme une évidence cette femme-là qui se pomponne pour aller à sa deuxième chimio, qui a peur mais qui reste digne, forte tout autant que fragile. Quand l'enfant naît, voilà qu'elle vampirise les réactions, c'est enfin le bébé qu'on regarde, qu'on admire et plus elle et son corps sacrifié qu'elle va peu à peu se réapproprier.

Solveig Anspach déclare la guerre au misérabilisme, sa caméra, sans grands effets et sans folie, observe, suit la déroute de certains, le désir d'autres et cette impérieuse pulsion de vie qui réside en chacun de nous. Ni tout à fait elle, ni complètement quelqu'un d'autre, Emma c'est son histoire vécue mais c'est aussi le visage, la voix, le corps et l'émotion toujours pure d'une Karin Viard (César de la Meilleure actrice pour ce rôle), parfaite, qui n'en fait jamais trop et avance, comme son personnage, à l'aveugle mais avec la sensation que quelque chose adviendra et qu'elle a encore "de belles années devant [elle]"
eloch

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