Les films à thèse se démarquent par leur envie primordiale de nous démontrer plutôt que de nous montrer leur point de vue. Tous les signes, les messages, les dialogues, chaque seconde du métrage est dictée par la volonté de prouver au spectateur que la vision du réalisateur est la plus morale ou au moins la plus logique. Cette envie est tellement obsessionnelle que les caractérisations des personnages ou les décors ne sont plus mus d'intention artistique mais didactique. Le réalisateur transforme le récit en échiquier sur lequel il pourra manipuler tout ce qu'il peut, plus rien n'a l'air naturel. Le film est un deus ex machina géant. Bien évidemment que l'homme a dû se suicider alors qu'il ne voulait pas, que sa femme et son fils malades sont morts à cause de ça, que le père qui n'a plus rien à perdre va se venger jusqu'à la mort et que l'intendant du clan n'a aucun remord. Kobayashi nous oblige par la force de son scénario à détester le clan meurtrier mais vu que je ressens la lourdeur pachydermique du réalisateur, j'ai un blocage insurmontable. Je ne peux pas croire aux personnages et donc ne peux pas développer de l'empathie pour eux.


12 hommes en colère est l'apothéose du film à thèse. Encensé par la critique et les spectateurs bien plus pour son monologue moralisateur consensuel que pour ses qualités artistiques. La virtuosité de la représentation par l'image de Lumet et son symbolisme criard font redondance avec la partition lincolnienne de Fonda. Il surenchérit avec sa critique contre le système par l'image, le son et le jeu d'acteurs sans prendre la peine de prendre de la hauteur, de donner un peu d'air au récit. Comme les personnages du film, on étouffe dans la pièce avec eux mais pas par remise en question ou pour la mise à mort du jeune mais par la forme scolaire du discours qui suinte par tous les ports du métrage. On se retrouve au collège dans le cours d'un prof d'éducation civique lors d'un été cuisant sans ventilateur. Voilà les sensations du film. Et c'est par ces aspects qui oscillent entre l'étouffement ennuyeux et le misérabilisme typique des films à thèse qu'on peut comparer 12 hommes en colère à Harakiri.


Même si je l'ai un peu évoquer, j'aimerais revenir sur le misérabilisme mécanique de ce genre de film. C'est peut-être ce qui m'énerve le plus. Je peux passer outre les facilités scénaristiques, la mise en scène plus lourde qu'un mec qui tient pas l'alcool en soirée mais le misérabilisme, c'est au-dessus de mes forces. Plus qu'une différence de forme, il y a une différence de degrés entre le pathétique et le misérabilisme. C'est cette justesse du pathétique qui arrive nous émouvoir quand le misérabilisme va nous faire pouffer de dédain. Le pathétique se cache dans les détails, dans la difficulté pour la famille Joad d'acheter des bonbons dans Les Raisins de la colère de John Ford, dans les murmures rempli de haine des passagers de la calèche dans Boule du Suif ou dans La chevauchée fantastique. Le misérabilisme, lui, est ostentatoire. Il a besoin d'être en gros plan, de déclarer des banalités avec solennité, d'exclamer ce qui est déjà signifié, de vouloir nous faire apprendre ce que tout le monde sait. En plus de la lourdeur ontologique du genre de films à thèse, même les meilleurs cinéastes optent pour rajouter du misérabilisme dans leur histoire. Peut-être imaginent-ils que l'indigestion dévoile le magnifique militantisme de ces auteurs que ça soit envers un système ou des moeurs ? Je leur dirais à ceux-là qu'ils se trompent, que c'est la puissance esthétique de M le maudit qui nous faire ressentir l'horreur du tribunal publique et non pas des pauvres dialogues surécrits sur la condition humaine.


Malgré ses instants hors du temps (le combat sur la colline) et quelques images emblématiques (l'armure du vieux samouraï), Kobayashi comme Lumet et beaucoup d'autres, nous offre une oeuvre lourde, pesante par sa forme protocolaire et éducative, un film à thèse en somme.

Hurakan
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le 11 sept. 2022

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Hurakan

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