La fleur de feu, où le paradoxe de Kitano (SPOILERS)

Hana-bi m'a claqué. Violemment. J'ai mit une bonne journée à m'en remettre.
Kitano a ici signé un exceptionnel chef d'œuvre, touchant, violent, poétique, sincère, juste...

Le film narre l'histoire de Nishi, policier qui rend visite à sa femme, atteinte d'une maladie incurable, lors d'une mission. Pendant son passage à l'hôpital un de ces coéquipiers, Horibe, se fait tirer dessus. S'en suit alors un profond bouleversement dans la vie de Nishi. Il abandonne son boulot, emprunte de l'argent aux yakusa pour financer les soins de sa femme ainsi que quelques cadeaux pour Horibe, mais s'enfonce alors dans des problèmes qui vont le dépasser.

Ce qui frappe dès le début dans Hana-bi, et c'est le cas de pratiquement tous les Kitano, c'est la limpidité de la mise en scène. Ici, pas de superflu, la camera semble se balader avec une simplicité déconcertante à travers les scènes du film. Cette limpidité sert évidemment un récit exceptionnellement juste. Nishi est un homme blessé, désespéré même, mais qui malgré une allure agressive et peu avenante, va tenter de répendre un peu de bonheur autour de lui.

Kitano est parfait dans ce rôle. Son jeu est très simple. Le manque d'expression, le mutisme qu'il utilise, tout amène à un personnage ultra charismatique, dont un simple regard peut faire basculer une scène. Kitano parle donc peu, il n'intervient que quand il le faut. Comme sa mise en scène, son personnage ne s'embarrasse pas de dialogues inutiles. Il est aussi limpide que son film.
Personnage profondément humain, Nishi tente de donner autour de lui un bonheur qu'il n'a pas lui-même. Il offre à son ancien coéquipier de quoi peindre, prend sous son aile la veuve de son coéquipier décédé, et surtout accompagne sa femme dans son dernier voyage avant la mort, l'aide à vivre quelque chose d'unique, tout ça par amour.
Pourtant, il apparaît auprès des yakusa comme une brute épaisse, violente, sans scrupules. Ce paradoxe est passionnant, car au delà d'être simplement celui du personnage, il s'applique également au film lui-même.

Le film a en effet une réelle "double face". Comme l'indique son titre, "Hana-bi", qui veut dire fleur de feu (feu d'artifice), le film est un mélange virtuose entre la fureur et la poésie, entre la violence et l'amour. La fleur pour l'amour, le feu pour la violence...
L'oeuvre de Kitano est une véritable merveille à ce niveau là. L'ensemble est une grande fresque où la mélancolie et l'amour se dégagent d'une façon exceptionnelle, entrecoupée de grands accès de fureur, où le sang coule à flot et les yakusa tombent comme des petits pains. L'incroyable force de Kitano ici est d'avoir réussi à enchaîner ces différentes scènes sans jamais donner l'impression d'être hors sujet, de louper une transition, de changer de registre. L'ensemble est fluide, particulièrement juste. La lenteur du film sert son propos. Une réelle mélancolie, une envie de passer encore quelques instants, de profiter de la vie.

Absolument touchante, l'histoire est finalement parfaitement soutenue par l'autre pan du film, Horibe et sa naissance artistique. Toutes ses scènes sont splendides. La première, celle devant la mer, où il discute avec Nishi m'a extrêmement émue. Elle est d'une sincérité exceptionnelle, et retranscrit ce que Kitano aurait pu lui-même dire quelques années auparavant. En effet, en 1994 le réalisateur japonais vit un terrible accident de moto qui lui laissera des séquelles à jamais. Suite à cet accident, il se mettra à peindre. Horibe est donc un peu Kitano. De par ce personnage, le cinéaste nous plonge dans une presque autobiographie. D'ailleurs les toiles que peint Horibe sont celles que Kitano a lui-même peint.
Ces scènes donc, sont splendides, que ce soit le défilé d'œuvres "animalo-fleuries", totalement hors propos, mais finalement tellement essentielle, ou encore le magnifique plan auprès des cerisiers, à chaque fois ces moments nous font ressurgir d'incroyables sentiments. Qu'on aime ou pas, cette introduction de la peinture dans le film offre un réel contrepoint à l'histoire principale. Un espèce de canalisateur de tous les états d'âme du film.
C'est juste splendide.
Au terme de ces scènes, Horibe peint une toile splendide, ponctuée du mot "suicide". Comme un présage du final... Renversant.

Le film finit par se développer autour d'un espèce de road movie. Dernier voyage pour la femme de Nishi, qui va vivre des expériences uniques. Ces scènes sont splendides car elles alternent le tragique et le comique. Les mésaventures amusantes sont nombreuses (l'appareil photo dans le sable, le feu d'artifice qui ne se lance pas, ...) et apportent vraiment ce qu'il faut de bons moments pour ne pas tomber dans le pathos lourd.
Kitano maitrise parfaitement son sujet, car en nous faisant vivre ces moments simples, en nous représentant de la façon la plus épurée possible des instants aussi beaux, il nous touche au plus profond de nous-même. Chaque détail est exceptionnel. Les petits morceaux de bois qu'on doit ré assembler pour créer des formes par exemple, et leur progression tout le long du film... Quand enfin le cinq est formé, c'est fini.

L'esthétique globale est d'une richesse exceptionnelle. Esthétique visuelle tout d'abord, avec ces nombreux plans au bord de la mer, l'océan, une réelle fascination pour Kitano, et tout un symbole. C'est au bord de celui-ci que tout se passe.
Les autres lieux sont aussi intéressants. Que ce soit les simples repères de yakusa, accompagnés ici et là de toiles de Kitano, ou encore les différents lieux du dernier voyage de Nishi et de sa femme, Kitano nous transporte dans un univers à part.
Quant à l'esthétique musicale, n'en parlons pas. Hasaishi a ici fait une bande originale excellente. Les thèmes, assez peu nombreux finalement, sont d'une incroyable mélancolie, "Sea Of Blue" rappelle les grands moments de Pat Metheny, harmonies splendides, mélodica. C'est de toute beauté !

Au final, après nous avoir transporté dans cette incroyable histoire d'amour, dans ce conte d'un homme ange gardien, qui se sacrifie pour le bonheur des autres, Kitano termine sur cette splendide scène finale, ponctuée de ces deux coups... C'est terminé.

Et ce sentiment d'avoir vécu une expérience unique, d'avoir ressenti les peurs existentielles d'un réalisateur si particulier, mais si génial. Déchaînement de violence, mélancolie sublime, intégration d'un art dans un autre art, réflexions sur l'existence, récit presque auto-biographique, Hana-Bi est un chef d'œuvre absolument fascinant, qui fout une claque phénoménale dans la tronche, qui vous retourne le bide, et qui vous fait réfléchir sur la vie et l'amour. Un poil contemplatif, juste ce qu'il faut, terriblement passionnant, parfois un peu décalé, tous les ingrédients sont là. Magique.
Ripailloux
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le 5 nov. 2010

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