Avec le recul qu’autorise des décennies de cinéma passées, il est des plus amusant de constater à quel point Gremlins cristallise ce qu’était le « Spielberg crew » : dans un rôle de producteur, confiant le projet à Joe Dante, sur un scénario de Chris Colombus… et des références concordantes (Indiana Jones, E.T., l'extra-terrestre…) nichées au sein d’une myriade d’autres, ancrant encore davantage ce film culte au cœur d’une époque culte.
Quant au seul Dante, l’importance de Gremlins tombe sous le sens : du confidentiel Hollywood Boulevard aux horrifiques Piranha et The Howling, les prémices étaient de bon augure, mais sa carrière était encore en quête de l’étincelle suprême. L’année 1984 sera donc celle de la consécration avec Gremlins, comédie pervertissant l’esprit de Noël par l’entremise d’un ton acide nullement déguisé et, parce que le naturel est une bestiole tenace, de codes propres au cinéma d’épouvante.
De fait, les souvenirs d’enfance faisaient état d’un long-métrage faussement réjouissant, quelques séquences étant à même de chambouler les bambins : parfaits contraires d’un Guizmo attendrissant, les perfides Gremlins s’inscrivent ainsi dans cette éminente caste du bestiaire fantastique des salles obscures, évoquant aussi bien les légendes britanniques de la seconde guerre mondiale que d’autres monstres sacrés du genre (Alien et ses diables d’œufs notamment).
De manière cocasse, le film a perdu de son potentiel terrifiant au contact du temps, ses prétentions humoristiques et sarcastiques prenant clairement le pas, tandis que les origines du projet révèlent des intentions autrement plus sombres : le scénario initial de Chris Colombus était en ce sens bien plus féroce mais, cédant aux sirènes du divertissement familial, gore et choc auront finalement été évacués par Spielberg et consorts. Une bifurcation rappelant, à une toute autre échelle, les aléas de production du futur Small Soldiers, avec qui Gremlins partage bien des points thématiques.
De la figure paternel absente au compagnon surnaturel, sans oublier cette teneur sarcastiques centrale, le parallèle fait sens : toutefois, le présent film est autrement plus surprenant et maîtrisé, quoique facile, pour ne pas dire complaisant, dans son essence : l’attentisme du mollasson Billy confine par exemple à l’agaçant, tandis que le ton profondément caricatural de quelques personnages (Mme Deagle) conforte Gremlins dans une démarche sans finesse. Empreint d’un sous-texte se moquant gentiment des préjugés raciaux et du mirage des fêtes, il compose malgré tout un conte mémorable, mordant et ingénieux, à l’image de ce long passage dans le cinéma de Kingston Falls où les infernales créatures transperceront littéralement l’écran.
S’il fallait résumer ses qualités et prétentions, isoler le récit de Kate serait opportun : révélant à Billy la raison la poussant à détester Noël, celle-ci lui raconte comme son père est mort la nuque brisée dans la cheminée familiale. Une histoire dramatique pourtant présentée sous un jour cocasse, le jeune homme n’écoutant au départ que d’une seule oreille ce qui s’apparente à une vilaine farce… l’humour noir dans ses plus belles œuvres.