New-York 1962, Don Shirley, homme raffiné, cultivé et pianiste célèbre, engage un chauffeur, Tony « la tchatche » un débrouillard un peu rugueux, censé l’accompagner durant huit semaines pour une série de récitals donnés dans les états du sud.
A l’évidence tout ou presque les oppose, et l’on voit dès le début, poindre à mille lieues le bon génie des films à Oscars (non madame on ne dit pas des film d’Oscar), avec ses grosses bottes dégoulinantes de bons sentiments (tolérance, acceptation de l’autre), serrant dans ses mains de grosses guimauves suintantes, puisque magie du scénario (inspiré d’une histoire vraie évidemment), l’un est un peu grossier, raciste, mais avec un cœur immense, l’autre a le port altier, mais un peu condescendant de celui qui a du mal à comprendre le bas peuple.
Vous pensez à « Miss Daisy et son chauffeur » ? Vous pouvez, mais un peu seulement, parce que Green book est un film bien plus habile qu’il n’y parait, d’abord parce qu'il renverse les rôles traditionnels, le chauffeur et donc le personnage en position d’infériorité sociale est Tony, l’italo-américain et ensuite parce qu’il s’appuie en partie sur une ignominie historique, ce livre vert, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1936, sous un titre tristement évocateur, « The Negro Motorist Green Book ».
Rédigé par un postier New-yorkais, ce guide de la ségrégation (une sorte de livre pour « les diviser tous »), devait aider les Afro-Américains à voyager dans le pays en leur indiquant les hôtels, restaurants et autres lieux d’étapes qui leur étaient réservés. Il est évoqué, parfois même montré avec humour à plusieurs moments clés du film, donnant une profondeur dramatique à un récit dont le ton semble pourtant hésiter entre légèreté et gravité, ce qui loin d’être un défaut lui confère une certaine force.
Nous sommes évidemment loin de l’humour potache des films de frères Farelly, mais les traits des personnages sont marqués, parfois caricaturaux, arrachant quelques sourires de ci, de là. Viggo Mortensen dans son rôle d’italien mal dégrossi (on pense parfois à Stallone dans son personnage maladroit de Rocky) se révèle touchant.
La prestation de Mahershala Ali en aristocrate décalé, dérouté par les outrances de son chauffeur et effaré par cette ségrégation si prégnante dans le sud profond est étonnante de justesse. Elle renvoie inlassablement à la précarité de sa position, à la fois reconnu par tous en tant qu’artiste, mais rejeté en tant qu’homme du fait de sa couleur de peau.
C’est ainsi, à mesure que le périple avance que l’on se prend d’une sympathie grandissante pour ce duo mal assorti, que l’on se surprend à se passionner pour un récit en apparence mal fagoté et hésitant, mais émouvant. Road-trip réjouissant,ce Green Book est moment de plaisir instantané, mais peut-être plus encore un film qui, laissera une trace même infime, dans la mémoire collective des amoureux de cinéma.