
Au risque de passer pour le rabat-joie de service vilipendant gratuitement une œuvre louée à l'unisson, et avant de me faire lyncher sur la place senscriticienne, je tiens d'emblée à préciser que j'ai passé un bon moment, même un très bon moment de cinéma en visionnant ce film - n'est-ce pas déjà là une chose suffisante, tant les blockbusters contemporains nous assènent de médiocrité ? Je reconnais pleinement les indéniables qualités de ce film, qu'elles soient visuelles ou scénaristiques. Le parti pris de réaliser un huis-clos spatial avec des mouvements de caméra tout aussi angoissants que vertigineux - sans compter les magistraux plans-séquences - recèle bien des audaces et des innovations ; de même que les plans montrant le soleil se levant sur la terre vu de l'espace sont à pleurer. Alfonso Cuarón parvient également, de manière magistrale, à court-circuiter nos habitudes perceptives terriennes et à matérialiser l'apesanteur.
Mais le problème, à mon sens, ne vient pas tant du manque de rebondissements - ce que l'on serait en mesure de redouter de prime abord lorsque tout est apesanteur, que ce soit les corps dans l'espace qui pourraient limiter substantiellement l'action ou le rythme du film - que de l'excès de ceux-ci. Les obstacles et contraintes constants auxquels doit faire face la protagoniste rendent le film haletant, mais leur inexorable enchaînement ne permet pas de poser l'action, ne fût-ce que momentanément. Si l'objectif du film n'était vraisemblablement pas d'approfondir outre mesure la question de la solitude et du vertige face à la finitude, l'isolement et le silence, ou de procéder à une variation cinématographique sur la maxime de Pascal "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie", il manque tout de même des temps de pause et de méditation (le seul et unique du film montrant Sandra Bullock désemparée à bord du vaisseau Soyouz est d'ailleurs plutôt convaincant).
C'est donc un arrière-goût d'inachevé que me laisse ce film, d'autant plus que les personnages manquent quelque peu de relief et de profondeur - mais cela n'est-il pas lié à la durée finalement assez courte du film désamorçant toute velléité d'aller un peu plus loin ? Gravity est certes un film de bonne facture, original et plein de potentialités, mais ces virtualités ne suffisent en rien à le propulser au rang de "chef d'œuvre", et à détrôner l'intemporalité de Solaris ou de 2001, L'Odyssée de l'espace.