L'haletant d'aimer et l'allaitant de mourir

Même si le résultat était raté et un peu lourdaud, il y avait quelque chose de sympathique dans Les Fils de l’homme qui donnait envie d’essayer plus avant son auteur, surtout que son dernier projet avec Clooney titillait un peu tout le monde depuis des mois… Le temps de laisser passer le plus gros de la foule moutonnante impatientée et même en ne lisant des bouts de critiques qu’en diagonale, il faut reconnaître que l’envie était un peu retombée et je m’attendais presque à un désastre, ayant ici où là vu critiquer l’absence de scénario ou je ne sais quelle faiblesse de ce côté-là… même les amateurs les plus forcenés semblaient s’excuser par avance de passer outre des défauts qui, chez moi, ont une réputation moins pardonnable…

Mais étrangement, passé le moment désagréable des lunettes 3D ignobles vendues illégalement par force par un exploitant qui porte bien ce nom, le film me semble beaucoup moins sujet à ce genre de reproches que je ne le craignais.

En fait, c’est juste un bon vieux film-catastrophe dans l’espace avec une belle maîtrise de la caméra et une redoutable efficacité, Apollo 13 sans les plans de coupe sur Houston et sans l’aspect réaliste en quelque sorte… Et dans ces cas-là, inutile de charger plus que ça le déroulement des événements, ça vient tout seul… D’ailleurs, ici, le souci vient plus de l’accumulation des événements un peu inutiles que de l’absence de péripéties.
Défaut majeur de son temps, ce film oublie de le prendre, de respirer un peu plus calmement, tiens, comme son héroïne haletante qui me fait penser à ce dialogue culte de Charlier dans les bandes-dessinées trépidantes des années cinquante lorsque le héros a bien cru que ses poumons allaient éclater, Gasp !
Et moi prendre le temps, j’aime assez, non pas que je voudrais que le film s’éternise, non merci, c’est très gentil déjà d’avoir su apposer à un projet aussi ténu une durée décente et mesurée, mais la course permanente sans temps morts, ça tourne un peu à vide, il ne suffit pas de faire pianoter Sandra Bullock sur n’importe quelles touches pour donner du corps à un vaisseau, c’est couillon, parce que, quand même, entre douze attaques de morceaux de satellites, huit accrochages en urgence ne tenant qu’à un fil et autres rebondissements improbables dont j’épargne au lecteur innocent les plus amples détails, il y avait de la place pour donner un peu de vie aux décors en toc…

Mais baste, en film de genre un peu idiot sacrifiant tout au spectaculaire, Gravity s’en sort plutôt bien, c’est immersif, prenant, bien fichu et il y a même de jolis moments disséminés ici et là. Clooney est parfait comme à son habitude et j’ai même pu supporter Bullock lorsqu’elle ne parlait pas de son gosse inutile ou je ne sais quelle autre débilité à base d’aboiements et de cris d’enfant qui la fichent à deux doigts de donner le sein à Clooney entre deux vodkas, la gourdasse…
Faut dire aussi, avec des effets numériques partout, des scaphandres miroitant et des lunettes obscurcissantes, les visages humains deviennent étrangement secondaires, le shorty aussi, sans même parler des grenouilles, on a à moitié l’impression de naviguer dans un jeu vidéo ou un film d’animation…

Alors bien sûr, ce genre de spectacle tient plus de la fête foraine que du cinéma (la vraie place de la 3D de toutes façons), la métaphore lourdingue est inutilement filée jusqu’à la corde et le film s’oublie aussi vite qu’il est consommé, mais je n’ai rien contre un petit tour de manège de temps en temps, ça rend d’ailleurs l’idée d’une postérité sur petit écran absolument inenvisageable, le caroussel dans son lit, ça tourne forcément moins vite…

Créée

le 1 nov. 2013

Critique lue 2.7K fois

147 j'aime

34 commentaires

Torpenn

Écrit par

Critique lue 2.7K fois

147
34

D'autres avis sur Gravity

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

268 j'aime

36

Gravity
Strangelove
8

"Le tournage dans l'espace a-t-il été compliqué ?"

Telle est la question posée par un journaliste mexicain à Alfonso Cuarón lors d'une conférence de presse à propos de son dernier film Gravity. Question légitime tant Cuarón a atteint un niveau de...

le 23 oct. 2013

235 j'aime

44

Gravity
SanFelice
5

L'ultime front tiède

Au moment de noter Gravity, me voilà bien embêté. Il y a dans ce film de fort bons aspects, mais aussi de forts mauvais. Pour faire simple, autant le début est très beau, autant la fin est ridicule...

le 2 janv. 2014

218 j'aime

20

Du même critique

Into the Wild
Torpenn
5

Itinéraire d'un enfant gâté

A 22 ans, notre héros, qui a feuilleté deux lignes de Thoreau et trois pages de Jack London, abandonne sans un mot sa famille après son diplôme et va vivre deux années d'errance avant de crever comme...

le 17 nov. 2012

468 j'aime

181

Django Unchained
Torpenn
4

Esclavage de cerveau

Aussi improbable que cela puisse apparaître à mes lecteurs les plus obtus, j’aime bien Tarantino, je trouve qu’il arrive très bien à mettre en scène ses histoires, qu’il épice agréablement ces...

le 22 janv. 2013

393 j'aime

174

Le Parrain
Torpenn
10

Le festival de Caan...

Tout a déjà été dit sur ce film, un des plus grands jamais réalisé. Tout le monde a vanté, un jour son casting impeccable : un Brando ressuscité, un Pacino naissant, bien loin de ses tics...

le 6 janv. 2011

365 j'aime

131