Dans l'espace, un seul faux pas et vous passez à côté du chef d'oeuvre

Merveille de fabrication où Alfonso Cuaron déploie un génie sidérant dans sa gestion de l'espace cinématographique, œuvre poussant l'immersion visuelle dans ses derniers retranchements à grands renforts de plans séquences impressionnants, de caméra subjective ridiculisant les FPS vidéoludiques de ces dernières années et bien évidemment 3D vertigineuse exploitant à merveille la profondeur de champ, pas de doute : Gravity est bien la révolution technique qu'il était possible d'espérer. Une œuvre cinématographique où, à la manière des multiples promesses de la performance capture, la caméra semble enfin libérée de toute contrainte matérielle et peut voguer librement poussée par la créativité du réalisateur sans pourtant jamais perdre la clarté de son action . Un exploit ici louable et surtout d'autant plus efficace que contrairement au Tintin de Spielberg et aux extraterrestres de James Cameron, ce sont de vrais acteurs de chair et de sang qui circulent au sein de cet océan visuel, un élément renforçant considérablement l'empathie du spectateur à leur égard et offrant un rappel bienvenu que l'humanité des acteurs ne doit pas être sous estimée au profit de la sacralisation technologique.

Toile de fond de cette ascension visuelle, le récit de Gravity est indéniablement minimaliste mais possède une qualité considérable jouant grandement dans l'impact émotionnel de l’œuvre : son point de vue. Refusant la facilité de multiplier les regards sur son action, malgré les possibilités innombrables que cela offrirait en terme de spectacle, l'intrigue se dévoile exclusivement à travers les yeux du protagoniste féminin. Même lorsque de nombreuses scènes tendraient naturellement à alterner le point de vue, le cinéaste se refuse à quitter d'une seconde son personnage qui sera le lien émotionnel avec le spectateur dans cet univers dénué de vie. Un choix extrêmement courageux et risqué mais qui se révèle bénéfique et renforce l'immersion sensorielle au sein de ce périple asphyxiant.

L'audace de cette démarche permet également au film de se faire pardonner quelques facilités narratives. Contrairement à ce que son concept pourrait laisser craindre, le rythme du film n'est pas trop contemplatif mais parfois trop expéditif et aurait gagné à laisser ses personnages exprimer leur humanité entre deux péripéties renversantes, des dangers qui surviennent également de manière trop systématique et un brin ridicule. Des lacunes toutefois pas assez significatives pour briser l'émerveillement suscité par ce prodige visuel, du moins jusqu'à ce que le dénouement de cette vertigineuse initiation se mette en place et vulgarise grossièrement son propos.

Dire que la conclusion de Gravity est en décalage avec sa démarche constitue un doux euphémisme. Alors que le film s'évertuait à conserver une dimension intimiste et humaine au sein de son foisonnement cinématographique, le dénouement cède malheureusement à la facilité et chute littéralement dans un conformisme Hollywoodien absolument aberrant. Stratagème improbable, musique grandiloquente, émotion exacerbée, inévitable valorisation du pouvoir de la foi religieuse, le film semble se décider à condenser en quelques instants les écueils qu'il avait su jusqu'alors éviter et si la mise en scène demeure grandiose, l'action dépeinte se dénature grandement.

Mais peu importe la conclusion du voyage, l'important est le chemin parcouru. Gravity demeure ainsi une expérience sensorielle stupéfiante et s'impose comme un modèle à suivre pour les cinéastes de demain. Mais si l'audace de sa démarche et son génie cinématographique lui assurent instantanément une place dans l'Histoire de la science fiction, la maladresse de son dénouement l'empêche de devenir le chef d'oeuvre indéniable dont il avait pourtant le potentiel. Et en dépit de la sincère réussite du film, c'est franchement bien dommage.

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le 29 oct. 2013

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Leon9000

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