Tacheté d'étoiles et d'obscurité

C'est tout de même un phénomène, un événement du cinéma qui, d'une certaine manière, fera date. Si ce n'est une date majeure, une date importante tout de même. Le jour où, soudain débarrassé de nos attirails terrestres et de nos doutes de pesanteur, nous avons purement et simplement vogué, flotté loin au-dessus de l'atmosphère et de sa banale gravité. Une immersion tout au long de l'étrangeté cinématographique du moment.


Etrangeté, car il faut reconnaître à Alfonso Cuaron et tous ceux qui l'ont suivi dans cette aventure un sens du culot particulièrement grandiose. Des explosions silencieuses aux rotations effrénées dans un sombre néant en passant par des traversées surréalistes du vide sidéral, il a osé affirmer une vision et une idée, un rêve fou : le voyage là-haut. Voyage semé d'embûches pyrotechniques certes, mais voyage tout de même, ponctué de contemplations incroyables, voire émouvantes, du monde, du cercle bleuté qui nous abrite et qui se perd dans un océan impalpable. C'est peut-être la première fois que l'on peut le ressentir ainsi, si vrai, si puissamment, grâce à une quasi perfection des effets spéciaux.


Mais la beauté du geste artistique a son revers, et il est plus amer encore que ce film portait en lui de quoi être inoubliable à mes yeux. Gravity est parfois si fort et subtil que ses baisses de régime sont ressenties comme des chutes sévères dans des ornières indignes du chemin qu'elles bordent. Comme si s'opposaient frontalement l'intégrité d'un artiste et les inquiétudes financières de producteurs indispensables pour donner vie à une telle réussite visuelle.
Cuaron, après un Harry Potter délicieusement barré (suivant deux grosses sucreries ouvrant la saga, il était parvenu avec son troisième épisode à emmener les films vers une autre voie, celle d'un esthétisme plus morbide et par là-même plus merveilleux) et sa tranchante adaptation des "Fils de L'homme", avait pourtant démontré qu'il savait s'affranchir des enjeux du grand spectacle hollywoodien pour affirmer sa patte de bout en bout de ses longs métrages.
Ici, le réalisateur semble laisser la main à plusieurs reprises, cédant aux élans mélodramatiques faciles d'un scénario ne sachant sur quel pied danser (la fable métaphysique et métaphorique ou l'histoire rabâchée du survival premier degré) et appliquant par endroits des recettes éculées (musique épique, plans héroïques, incendies dantesques mais gratuits, péripéties tantôt incohérentes, tantôt frôlant avec le risible) pour râtisser large dans un public qu'on a craint de décontenancer.


Ces clins d'oeil plus financiers que malicieux m'ont hélas botté sévèrement hors du film entre deux séquences de suspense de haute volée et de surprises gonflées. C'est peut-être cette adhésion qui m'a fait tant regretter le reste, et laissé avec ce triste constat : Gravity n'a de force que dans son visuel novateur, et encore sur grand écran. Pour l'instant, je ne vois pas l'intérêt de le revoir, et qui plus est sans le gigantisme de la salle obscure. C'est tout dire sur les enjeux que j'ai trouvés à son histoire.


Je crois que mon avis sur Gravity, finalement, est à l'image d'une scène précise (mini-spoiler) : la séquence du "foetus". Je me demandais si j'assistais à un coup de génie poétique et osé, ou à une coquetterie hollywoodienne gnan-gnan, sans pouvoir me décider. Et donc sans goûter à la saveur du moment.

Oneiro
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le 28 oct. 2013

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Oneiro

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