C'est étrange, parce que l'Homme a toujours voulu s'étendre dans l'Univers, y compris à travers le cinéma. Il faut aller toujours plus loin. Dans les plus grandes œuvres de science-fiction, on suit le périple des protagonistes explorant les étoiles, et la plupart du temps, on arrive à une seule conclusion : l'inconnu fait peur, il vaut mieux rentrer à la maison. Le film du réalisateur mexicain n'échappe pas à la règle.

La maison, c'est la Terre. Jamais on ne la quitte durant ce long-métrage, et il est bien rare qu'elle ne soit pas dans le cadre, même par un simple reflet. Souvent, on voudrait la filmer petite, cette planète recouverte d'eau dans un océan de néant, de vide. On voudrait la faire croire plus petite qu'elle ne l'est. La première ingéniosité de Cuaron, c'est de lier l'infiniment grand à l'infiniment petit, si bien que la Terre est bien trop importante pour qu'on la filme pleinement, et que jamais ce qui la dépasse ne sera pris en compte. D'ailleurs, plus le film avance, et plus on se rapproche d'elle, c'est un aimant, c'est le principe même de la gravité. On est autour d'elle, dans la nuit, le jour, au pôle sud et au pôle nord, d'ouest en est.

Voyez-vous, je dis « on », parce les personnages de ce film sont la Terre, Ryan Stone, et nous, ceux qui contemplent. Enfin, ceux qui vivent, quoi. Ou plutôt ceux qui veulent vivre. C'est aussi un peu cela, Gravity, la Vie. Premièrement, parce que ce qui lie la Terre, et l'Humanité, c'est bien le sens même de la Vie, et que les deux ne font qu'un, finalement. Quand Cuaron lie ces deux espaces, ces deux êtres, il rejoint son idée d'unifier le grand et le petit. Comme la Terre est à la fois grande, majestueuse, mais également un grain de sable dans l'Univers, alors l'Homme est aussi de cet ordre là. Cette espèce est dense de multiplicité, et cette densité humaine s'exprime dans le personnage de Ryan Stone. Le film développe une série de symbole autour de ce qui semble le plus beau : la Vie et la Mort. En d'autres termes, il trace un chemin entre ce qui est de l'ordre du connu et ce qui est de l'ordre de l'inconnu. Il est facile de deviner que le connu reste la Terre, et par conséquent la Vie, et que l'inconnu est l'Espace, le vide étant la représentant du néant et de la Mort. Aussi est-il important de noter qu'il existe deux personnages dans ce film, celui de Ryan Stone, qui exécute alors sa première mission dans l'Espace, et celui de Matt Kowalski, qui effectue quant à lui sa dernière mission. L'un n'a d'autre envie que de retourner à la maison, tandis que l'autre souhaite parcourir des mondes inexplorés, le monde de l'inconnu, celui de la Mort. Cela n'a donc rien d'étonnant que le sort de ces deux protagonistes. Pourtant, aller dans la direction de la Mort peut paraître aisé et simple, mais lorsqu'il s'agit d'aller dans le même sens que celui de la Vie, les difficultés s’agrandissent. C'est en tout cas, ce qui attend notre docteur Stone. Pas étonnant non plus, sa profession, ni le fait que ce soit une femme.

Ce qui est par dessus tout intéressant dans cette expérience, ce n'est pas le simple fait de pouvoir être impliqué pleinement dans le film, de ressentir chaque sensation, que chaque respiration soit un véritable calvaire, ou que ce voyage soit finalement le nôtre, mais plutôt le bercement d'émotions qui nous transporte. Il est une chose à retenir, c'est que ce film véhicule des choses simples, belles, entièrement liées à la condition humaine, et que de fait, cela implique les duretés de la Vie, les obstacles à franchir, les monts à gravir. Gravity est un des films les plus symbolistes qui soit, et il faut bien entendu comprendre que chaque scène a des connotations extérieures à l'action qui y est présentée. De cette manière, on entend souvent dire que ce n'est qu'un vulgaire film démonstratif à sensation, or ce qui fait la force du film n'est pas seulement cet aspect-là. Au delà de la technique ahurissante de ce projet, c'est sa capacité à aborder des thèmes humains concrets, et non métaphysiques. Lorsqu'un satellite, du feu, un débris, ou la Mort même se dresse contre le chemin du personnage de Ryan Stone, ce sont des obstacles de la Vie qui lui font face. L'abîme de la Mort dont Ryan veut sortir, c'est celui de sa propre mort, qui la hante depuis un événement survenu plus tôt dans sa vie. Tout est lié dans Gravity, et cela se fait ressentir également avec les techniques employées, pour qu'enfin la technique soit au service de l'histoire, et inversement. Les jeux de lumière s'accordent avec la musique de Steven Price, qui décrit aussi bien l'Espace avec des sonorités étranges que la Terre et l'Humanité avec des instruments plus boisés ou vocaux. Si le thème de Ryan Stone reste discret au début, c'est pour mieux se déployer sur Terre, avec une voix féminine au sommet. Tout s'assemble et se construit, certaines choses s'en vont et reviennent, d'autres restent, d'autres partent à jamais, mais tout évolue.

Gravity nous ramène à des choses essentielles, et nous essouffle. Il bat au rythme des respirations de Ryan Stone. C'est un enchaînement de symboles, une forêt dense d'images et de métaphores liées à la terre, à l'air, au feu aussi et pour finir à l'eau. Cette même eau qui compose les êtres vivants de la Terre et la Terre elle-même. L'eau que nous déversons dans nos larmes, mêlée d'un sentiment de joie ou de tristesse durant tout le parcours de la protagoniste. Une simple goûte d'eau qui ramène à des choses grandes et petites : le petit, ce sont les émotions humaines, les larmes de désespoir et le grand, c'est la Terre. Oui, tout est lié dans Gravity, c'est bien pour cela que Cuaron use des plans séquence une nouvelle fois, et passe de l'oppression à la libération.

Non, Gravity n'est pas qu'affaire de sensations, mais également d'émotions, parce que le cinéma n'est pas seulement un objet d'attraction, mais de contemplation. Il doit vous faire sentir vivant et vous faire aimer la Mort en tant qu'objet de fascination, tout comme l'Art le fait, tout comme Gravity le fait. Certes, le vide, l'inconnu, la Mort est excitante, mais par dessus tout, nous sommes attirés par la Vie, bien que cela ne soit pas si facile de s'y accrocher, il faut s'y résoudre. Gravity est un aimant, on est happé dedans, on est obligé de le suivre ou d'y échapper. De toute façon, il y a bien un moment où la Vie nous fait décrocher, et on ne souhaite que partir, l'objet d'attraction devient alors celui de fascination comme avec Matt Kowalski. Cependant, il existe une autre alternative, on peut aussi choisir de revenir.
Nonore
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le 29 juin 2014

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