Thématiquement nécessaire, cinématographiquement inintéressant

J’avais envie de voir Grâce à Dieu de par une naturelle curiosité d’interroger des phénomènes d’actualité transposés dans le domaine artistique. J’aurais envie de séparer et d’expliquer ma note en 2 temps : 4/5 pour le choix du sujet et 1/5 pour son traitement. Et comme il m’est plus facile de déblatérer sur ce qui m’a déplu, je vais faire un grand effort pour équilibrer cette première critique.


Le choix de traiter la pédophilie au sein de l’institution de l’Eglise catholique en s’inspirant de faits réels a eu son impact sur moi, facilement touchée par la souffrance d’autrui. Les agissements du père Preynat et le silence du cardinal Barbarin ont brisé, entaché, touché à vif plusieurs strates sociales à travers les victimes, comme tend à montrer (un peu lourdement peut-être), Grâce à Dieu.
A une différente échelle, il m’a été également important de situer les victimes au sein de leurs familles, plus ou moins nombreuses et unies. Ces différents écosystèmes sont à leur manière tous ébranlés : on y voit des déchirements, du soutien, de l’indifférence, de la gêne…
Et c’est à l’intérieur de ces cellules familiales qu’on trouve aussi une extension de la notion d’abus en dehors des murs de l’Eglise (la femme d’Alexandre a elle-même été agressée, tout comme la petite amie d’Emmanuel). Ces allusions sont timides et maladroites mais montrent l’universalité du problème et le dépassement du sujet, à savoir l’influence d’une autorité physique ou morale sur des personnes (et surtout des enfants) vulnérables de facto.


Mais la justesse et la nécessité de traiter d’un tel sujet n’en fait pas forcément un bon film.


Les plans rétrospectifs et illustratifs des camps scouts sont à mon sens inutiles et contribuent à une certaine lenteur, surtout qu’il s’agit de la même histoire pour chaque personnage. Le père Preynat "jeune" est le cliché en laideur du pédophile ingrat, malsain (et kitsch) que l’on peut s’imaginer, ce qui rend presque grotesques les scènes d'attouchement suggérées. Si Ozon avait osé, les agressions auraient été plus explicites, tout comme la souffrance psychologique et spirituelle des victimes protagonistes lorsqu'elles sont devenues adultes.
On ne peut s’attaquer à un tel sujet en édulcorant à ce point l’intensité de certaines émotions. Parfois, je me suis demandé si certains allaient exploser durant ce périple de reconnaissance et de reconstruction et puis non, rien de tel. A la rigueur sont impressionnantes les crises d’Emmanuel, mais sans rapport avec une submersion émotionnelle directement liée à ses agressions, puisque c’est une maladie. Peut-être que je voulais sentir un peu plus de vengeance, non pas orchestrée et exclusive mais des sursauts, comme une réaction naturelle.
Je passe sur le ton monotone typique du documentaire qui traverse tout le film, ainsi que sur la musique chorale-Jésus-vitraux-larmoyant dans certains passages. Ce n’est ni original, ni prenant.


Outre ces défauts de réalisation, Grâce à Dieu retrace une série d’enjeux millénaires et contemporains à la fois, entre la justice et le pardon. Il donne aussi de la visibilité à l’association La Parole Libérée, et encouragera sûrement à de nouveaux témoignages, de nouveaux débats et de nouvelles solutions.

Antilabe
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le 5 mars 2019

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