Tiens, comme en 2007, Fincher ouvre son film un soir de fête nationale. Quelque chose a dû le perturber un des 4 Juillets de son enfance. Bref. Avant de continuer sa lecture, sachez que ma critique sera bourrée de spoilers. Soit un film de 150 minutes qu'on pourrait découper, scénaristiquement parlant (et sans respecter le découpage temporel imposé), en trois parties : Nick Dunne le mari infidèle et meurtrier, Amy Dunne la femme perverse complètement frappée et Amy Dunne l'épouse miraculée par moins folle à lier. Pourquoi pas. Et j'imagine que, quand on se laisse emporter bêtement (désolé pour le terme), par la vague Fincher, on s'en contente largement et qu'on arrive à la fin du film complètement retourné. Et pourtant, que l'histoire est banale et vieille comme le monde : la femme veut faire payer son infidélité (tant sexuelle que contractuelle) à son époux... Non seulement le fond de l'histoire est déconcertante de simplicité mais en plus la forme l'est davantage! Je m'explique. Que Nick ne soit pas l'assassin ou le kidnappeur de sa femme, c'est une évidence : d'une, la caméra de Fincher, dans cette première partie, suit la découverte de la disparition d'Amy depuis la personne de Nick et de deux, le mec est complètement à côté de ses pompes. Alors à quoi bon broder autour pendant 45 minutes (60 minutes?) et accumuler les petits détails censé nous mettre dans le doute : Nick connait très mal sa femme, Nick a une liaison avec une étudiante, blablabla, Nick allait demander le divorce blablabla... Pour être tout à fait franc, et en toute modestie, j'ai eu le fin mot de l'histoire au bout de vingt minutes. La réflexion est simple : le film fait 2h30, Nick est innocent, c'est Fincher, c'est Pike, donc Amy a monté son propre meurtre pour se venger de son mari, mais c'est Fincher, donc il va pas s'arrêter là, tiens pas mal la petite critique du mariage et des médias : les compromis, les faux-semblants... Amy va revenir. Découvrir le pot aux roses si rapidement et facilement ne m'a, dans un premier temps (où bien entendu je n'étais pas sûr à 100% de ma théorie jusqu'à la 120e minute), pas gâché le film. Au contraire je m'attendais à être dérouté et j'espérais franchement être contredis. Malheureusement je ne le serais jamais et là, dans un second temps, avoir déduit la fin deux heures avant l'heure m'a profondément ennuyé : Gone Girl ne fonctionne que sur sa fin. Beh merde quoi. Non seulement elle est prévisible mais en plus elle constitue le seul intérêt dramatique du film. L'ensemble du métrage est censé amener le spectateur à cet instant crucial. C'est le climax. Encore une fois, merde alors.. C'est encore pire quand, vingt minutes durant, Fincher épilogue sur le devenir du couple et les choix qui s'offre à lui (il va la quitter? elle va le tuer? ils vont revivre ensemble?) pour ne choisir que la plus consensuelle des propositions (ils vont vivre ensemble) : bim! petite critique de l'hypocrisie du mariage et des médias au passage (c'est la quatorzième, ça va).
Plus emmerdant encore c'est le point de vue de la caméra de Fincher : qui est le narrateur? Un coup c'est lui qui pose des questions existentielles, un coup c'est elle qui récite son journal intime (on comprend assez vite que ce n'est qu'un tissu de conneries), un coup on est avec elle dans le bayou et un autre coup, quand elle revient chez elle dans le Missouri, on est avec les deux à la fois.. Si je résume, Fincher se montre omniscient pendant une bonne partie du film (la première et la deuxième exposées plus haut) et, d'un coup d'un seul, voudrait que dans la dernière partie, on s'inquiète de ce qui pourrait arriver? Mais mec tu nous l'a dit au début du film! Je dis bien omniscient et pas interne, certaines scènes à l'appui : dans la première (où on suit le périple judiciaire de Nick avec en toile de fond la narration de Amy) et la seconde partie du film (où on suit les déboires de Amy) Fincher nous révèle plusieurs fois les pensées et les sentiments du personnage de Amy. Il n'y a que moi que ça à l'air de choquer? Comment un mec comme Fincher peut-il commettre une connerie comme ça? L'omniscience, dans une enquête policière, ça craint. Tu restes interne. Mais jamais omniscient. Il faut que, dans chaque partie du film, les évènements nous apparaissent dans le prisme déformant de la subjectivité des personnages. Tu l'avais très bien fait dans Fight Club (tu étais carrément externe, alors...) et surtout dans ton chef d’œuvresque et titanesque Zodiac..
Encore encore plus emmerdant c'est, comme je l'ai déjà dit, de ne plus faire reposer son film que sur son dénouement. Le film est un long crescendo vers le climax final qui est censé valoir son pesant d'or. Et en général il le vaut. Mais quid quand il ne le vaut pas et, pire, qu'il est déniché dès le début? Les films de Fincher ne sont jamais aussi bons que quand, justement, la révélation finale n'en est pas une : prenons The Social Network par exemple, le final n'est pas nécessaire à la qualité des minutes précédentes. Le plus bel exemple est Zodiac. Objet filmique monstrueux dans lequel la révélation qu'on attend tous à la fin ne vient jamais. C'est même plus couillu que ça car elle intervient en réalité au milieu du film (je n'en dirai pas plus). Dans Gone Girl, il n'y a malheureusement pas grand chose à se mettre sous la dent, en dehors de son dénouement (qui en plus est prévisible) et Fincher tombe même allègrement dans la facilité. Il reste néanmoins la mise en scène de Fincher qui, somme toute assez sobre, éclaire par moment le film de son génie (la livraison de sucre est sublime), et l'interprétation proprement hallucinante de Rosamund "qui s'y frotte s'y" Pike (l'actrice hollywoodienne qu'elle est n'a cependant pas pu s'empêcher de cabotiner à la Brando et manger du coton pour jouer les femmes battues). Le mariage de ces deux-là en revanche est parfait : les flashbacks amoureux sur la rencontre de Amy et Nick (auquel appartient d'ailleurs la scène de la livraison) sont superbes : langoureux, suspendus dans le temps, féeriques et baignés par une étrange lumière sélène et la voix glaçante de Pike.