"Gloria",c'est pas glorieux.John Cassavetes a été un formidable comédien,tenant surtout des seconds rôles,mais il a eu le tort de se prendre un jour pour un auteur-réalisateur.Il s'est mis alors à bricoler dans son coin,avec une petite équipe de fidèles comprenant notamment devant la caméra son épouse Gena Rowlands et ses potes Ben Gazzara et Peter Falk, des petits films indépendants sortant,à juste titre,dans l'indifférence générale.Il s'agissait de bouillies sonores et visuelles indigestes qui n'étaient pas sans rappeler le Resnais des débuts,en pire,si toutefois c'est possible.Et puis le cercle fermé des gens de cinéma influents s'est avisé de son existence et a décidé de le tirer de l'anonymat et de le révéler au public ébahi qui n'en demandait pas tant.Ces arbitres des élégances,des critiques,des cinéastes et des comédiens en vue,font ça régulièrement.Ils choisissent un truc qui existe depuis longtemps sans que personne,en dehors d'une petite chapelle de fans,n'y prête attention,et en font une mode.Au fil des décennies,on a ainsi eu droit,entre autres,au cinéma coréen,à l'animation japonaise,au polar hong-kongais,à Michael Powell,à Robert Guédiguian,aux comédies musicales de Bollywood,à la Blaxploitation.La canonisation de Cassavetes procède de cette démarche.De nos jours,le soufflé est pas mal retombé mais l'auréole est restée bien accrochée au-dessus de la tête de Saint-John,devant les oeuvres duquel tout cinéphile conséquent est prié de se prosterner."Gloria" est un des derniers films du Maître et le seul qui ait été produit par un grand studio,Columbia en l'occurrence.Si on vous parle de l'histoire d'un type lié au crime organisé qui voit débouler dans son appartement miteux d'un immeuble minable de New York une bande de tueurs qui l'exécutent,et toute sa famille avec.Si on vous dit qu'un des enfants échappe au massacre et qu'il est recueilli par un voisin qui va le protéger et exécuter les méchants,à quoi pensez-vous?A "Léon",évidemment,mais c'était déjà le scénario de "Gloria",sur lequel Besson a tout pompé.On met un mec à la place de la justicière,on transforme le garçonnet en fillette,et le tour est joué.Comme quoi,à partir des mêmes ingrédients,on peut obtenir des résultats très différents."Léon" est un excellent film d'action,son modèle un gros ratage."Gloria" est une interminable partie de cache-cache à travers la ville,dépourvue de rythme,plombée par des dialogues faussement profonds et vraiment creux,et Cassavetes n'a visiblement aucune idée de la façon dont on tourne une scène d'action.Les personnages,qui sont sensés être émouvants,ne provoquent qu'un agacement qui se transforme progressivement en exaspération.En fait,on ne souhaite qu'une chose,que ces deux connards se fassent buter.Mais le pire,c'est le scénario,d'une aberration totale.On passe son temps à se demander pourquoi et comment les protagonistes se conduisent comme ils le font.Pourquoi le comptable de la mafia,qui a soi-disant balancé ses patrons au FBI,a-t-il toujours en sa possession ,chez lui,le livre de comptes incriminant l'organisation?Pourquoi Gloria s'enfuit-elle de chez elle alors que personne ne sait qu'elle a récupéré le gosse?Pourquoi,lorsque les flics arrivent,ne leur confie-t-elle pas tout simplement le môme et le fameux livre au lieu de partir en cavale?Pourquoi habite-t-elle cet appart pouilleux alors qu'elle en possède un autre bien mieux dans un quartier plus huppé?Pourquoi protège-t-elle l'enfant au péril de sa vie alors qu'elle déteste les gosses,que celui-ci n'est rien pour elle,et qu'en plus il est con,chiant et moche,et ne cherche qu'à lui échapper?Pourquoi la police,totalement absente du film,ne parvient-elle pas à la retrouver alors que son portrait et celui du gamin sont à la une des journaux et passent en boucle à la télé,et qu'en plus Gloria parcourt la ville en tous sens,flanquée de son protégé,et sort régulièrement son flingue,dont elle se sert à l'occasion,dans des lieux publics?Comment les gangsters,bien plus doués que les flics,parviennent-ils à tous les coups à la retrouver,et comment font-ils pour la laisser s'échapper à chaque fois?Comment Gloria sait-elle où retrouver Phil à Pittsburgh,lors d'un happy-end sirupeux à souhait?Ce film est un intarissable amoncellement de débilités qui vont crescendo jusqu'à la fin,les péripéties étant si stupides qu'on finit par se demander si Cassavetes n'a pas en réalité voulu faire une comédie à savourer au dixième degré.Mais non,tout ça est fabriqué avec un imperturbable esprit de sérieux,en dépit de l'inanité de la plupart des scènes.Des malfaisants débarquent dans un immeuble enfouraillés jusqu'aux dents sans que personne ne songe à appeler la police.Pendant la fusillade,une voisine ne trouve rien de mieux que de sortir dans le couloir pour engueuler les tueurs.Lesquels localisent Gloria et Phil où qu'ils se trouvent,chez Gloria,dans la rue,dans les gares,dans le métro,dans les bus,dans les commerces,dans les restaurants,sans jamais parvenir à les capturer.Des mafiosi,on en a vu des millions au cinéma,mais nuls comme ceux-là,jamais.Ils se font en permanence ridiculiser par une bonne femme sur le retour encombrée qui plus est d'un gamin de six ans,qui les tabasse,les flingue et leur échappe en courant sur des talons hauts en traînant le gosse derrière elle.Des gangsters aussi mous,crétins et inefficaces,ça devrait être un vrai bonheur pour les flics.Même quand Gloria leur offre le fameux livre de comptes,ils le refusent,et quand elle se pointe dans leur QG,ils la laissent entrer sans la fouiller alors qu'ils savent pertinemment qu'elle est armée,dangereuse,et qu'elle a déjà exterminé la moitié de la bande.Et quand elle décide de s'en aller,ils attendent tranquillement qu'elle ait atteint la porte avant de la poursuivre,ce qui lui permet de se barrer une énième fois.Quant aux rapports entre Gloria et Phil,ils sont totalement schizophréniques.Ils passent leur temps à s'engueuler et à se séparer pour,dans la scène suivante,se courir après et se retrouver.Le petit John Adames est un des acteurs enfants les plus calamiteux qu'on aie vu sur un écran.Gloria,c'est évidemment Gena Rowlands.Elle fut une des nombreuses pin-ups peuplant Hollywood dans les années 60,ni meilleure ni pire qu'une autre.Et puis elle devint la femme et l'égérie de Cassavetes et fut propulsée en même temps que son mari au Panthéon du cinéma d'auteur,devenant une comédienne-référence incontournable,nonobstant son jeu insupportable fait d'hystérie et de grimaces outrancières,dont elle nous livre une bonne fournée dans ce film.La seule qualité qu'ait "Gloria" est que New York,et surtout ses quartiers pauvres,a rarement été aussi bien filmée,Cassavetes prouvant que,pour peu qu'il en aie l'envie et les moyens,il était capable d'une belle maîtrise technique.Il nous régale de panoramiques magistraux,de beaux travellings,et de forts jolis plans mêlant réalisme et sens de l'esthétique et de la géométrie de l'espace.

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le 30 janv. 2016

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