La folle journée d’un chauffeur de bus

Bien que son sujet soit commun à tant d’autres, c’est par son réalisme revendiqué que Give Me Liberty se distingue des feel-good movies glucosés qui hantent habituellement le cinéma indépendant US. Point d’angélisme ici, Kirill Mikhanovsky filme les laissés-pour-compte avec autant de vérité que de simplicité, puisant notamment dans son expérience personnelle l’authenticité qui fait bien souvent défaut aux fables urbaines actuelles : on est plongé au cœur de Milwaukee, cité peu glamour et rarement mise à l’honneur par le cinéma, pour entrapercevoir ce que l’on suppose être le vrai visage du peuple américain.


L’argument initial, consistant à illustrer le melting-pot américain par un convoi de gueules cassées et de personnalités issues de l’immigration, aurait tout de l’allégorie simpliste si, justement, Kirill Mikhanovsky ne s’était pas placé dans une position de quasi documentariste. En faisant confiance à des acteurs non professionnels et les filmant avec autant de réalisme que d’empathie, il évite l’écueil des clichés et rend ses différents portraits délicieusement vivants : cohorte brinquebalante et bigarrée, composée d’handicapés moteurs ou mentaux, de vieillards usés ou de jeunes inadaptés, la petite communauté qui prend place dans le van de Vic dégage une énergie résolument vivifiante. C'est la belle idée du film qui consiste à faire de la coalition des handicaps une vraie force collective : si Vic se disperse en tentant de conduire chaque passager à destination, il va grandir et trouver sa voie grâce aux différentes rencontres effectuées.


Mais le vrai tour de force de Mikhanovsky réside dans sa manière de filmer le chaos ou la cacophonie comme une irrésistible source de vie. On n’est pas loin, d’une certaine façon, du cinéma d’Emir Kusturica. Il multiple les ellipses temporelles, dope la frénésie de son récit et fait se superposer différentes pistes sonores (musique, conversations, etc.), afin de provoquer une effervescence potentiellement libératrice. C'est-ce que l’on retrouve à la fin du film lorsque les personnages se retrouvent au cœur d’une émeute urbaine, filmée dans un noir et blanc pour le moins déconcertant. D'une manière générale, c’est à travers sa mise en scène qu’il tente de véhiculer l’idée même de liberté, utilisant le plan-séquence et le montage syncopé pour nous en faire percevoir les contours.


Un procédé certes intéressant mais qui va rapidement s’essouffler, notamment lorsque la gravité va éclipser la légèreté qui prédominait jusqu’alors. Un essoufflement qui semble progressivement gagner l’entièreté du film, tant Mikhanovsky peine à concrétiser ses bonnes dispositions initiales. On regrettera notamment qu’il ne puisse donner une vraie consistance à sa romance, ou qu’il délaisse aussi rapidement la question de l’ubérisation des emplois.


Parfois malhabile, Give Me Liberty mérite notre attention pour le regard qu’il porte sur le handicap et le vivre ensemble, pour cette pulsion de vie qu’il nous permet d’entrapercevoir.

Procol-Harum
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le 16 nov. 2022

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