Le tour de force de Gazon Maudit, c’est de faire naître des clichés qu’il investit une émotion à fleur de peau, là où se disputait quelques minutes auparavant un concours de vacheries dans lequel notre trio de tête excelle. Brillamment écrit, le film de Josiane Balasko a ce franc parlé, cette verve burlesque qui le rapprocheraient d’une comédie de boulevard si la réalisatrice n’avait l’intelligence du plan, l’ingéniosité du montage ; il suffit de considérer le plan-séquence dans la maison au cours duquel Loli passe de la chambre de son mari au salon où dort son amante en leur répétant à tous les deux « non, c’est dimanche », pour se rendre compte de la qualité strictement cinématographique du métrage. Au-delà des trois acteurs principaux épatants qui n’hésitent pas à se donner corps et âme au projet, se met en place une galerie de personnages secondaires typiques du cinéma de Josiane Balasko, puisqu’il s’agit de marginaux dont la représentation dans la comédie populaire était jusqu’alors quasi nulle. Le spectateur pénètre dans des milieux qu’il ne connaissait que par un certain nombre d’images fixes, ici mobilisées et aussitôt battues en brèche. Une boîte lesbienne, par exemple. Ou la chambre d’une prostituée vieillissante que la réalisatrice a l’audace de transformer en prophétesse de l’amour. Tous sont marqués par l’existence, son âpreté, son inéluctabilité. Et pourtant, ce constat souvent tragique reste comique, se voit même renforcé par le comique. Le film épouse la structure du jeu de rôles : à l’instar de la Gameboy, les protagonistes s’affrontent lors de manches délimitées par les crises, les entrées et sorties, les larmes, la vie enfin. La clausule prend le risque de non seulement réconcilier, mais surtout d’incarner le droit à la différence par le prisme du ménage à trois, voire à quatre (il ne faudrait pas oublier la rencontre autour de la piscine, aussi hilarante que touchante). Gazon Maudit travaille au corps les clichés d’une société rongée par l’hypocrisie et une répartition inégalitaire des rôles : « une femme qui trompe son mari, ça c’est dégueulasse ! », s’exclame Laurent. Le film est, en fin de compte, un récit d’apprentissage où les coups de gueule et les coups de poing déboulonnent les idées reçues, laissent entrer l’amour-passion dans ce qu’il a de plus jaloux. Sans oublier d’être une comédie très, très drôle portée par des acteurs au sommet de leur art.

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le 2 sept. 2019

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