A mon père

Avis sur Furyo

Avatar Kinovor-Cinefaj
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La bande originale de Sakamoto a fait son entrée dans le foyer paternel probablement l'année de parution. Nous passions souvent le disque quelques 3 ou 4 fois de suite.
Peut être dix ans plus tard, privilège parisien, le hasard m'a mené à une salle qui projetait le film. J'ai bu un verre au troquet en attendant la séance. Juste après, j'y suis retourné retourné. Ça devait se voir qu'il me fallait un calva, la barmaid m'a regardé bizarrement, m'a servi bistro. Je trouvais, moi, que c'est elle qui avait un drôle d'air. En regardant les visages autour de moi, tous l'avaient ce drôle d'air, derrière le faciès au rictus figé du Sergent Hara imprimé sur mes rétines.

Aujourd'hui, 25 ans de plus ont passé. Je revois le film, de retour dans ce foyer qui fut le notre. Dans cette même pièce, qui a beaucoup changé depuis, où nous écoutions le disque. Et c'est comme si je voyais Furyo pour la première fois. J'avais en mémoire la trame principale du film, et une image du camp, vague, qui se mélait désagréablement avec celui du Pont de la rivière Kwaï.
Tout de suite, Kitano; dans la courte intro précédant le générique, où il est credité de son seul Takeshi. Pourtant, à ce moment, nulle réminiscence de ma persistance rétinienne hallucinatoire. Pire, je n'ai pas le plus petit souvenir de ce plan de fin. Je suis juste surpris de le trouver là, comme un vieux pote perdu de vue depuis des lustres, sûrement depuis Sonatine.
Je remarque incidemment que presque tous les plans sont fixes, et, direct à l'estomac : traveling et zoom avant sur Sakamoto, pétrifié en plein tribunal par ce coup de foudre inacceptable, inexorable, définitif.

Aurais-je vu la première fois une version expurgée, amputée de cette scène du tribunal ? Impossible. Non, je dois me rendre à l'évidence, mon cerveau a censuré la presque totalité du film, comme s'il l'assimilait à un trauma.
Bowie tour à tour indolent, insolent, hieratique, faible, moqueur, dominant, héroïque ou traître. Sakamoto qui porte l'uniforme comme personne, plus beau qu'Eros lui-même, sa bouche Bardot, belle et boudeuse, impassible mais a son corps et âme defendants expressif, touché. Cette face, cette joute, il la perd, accumulant les coupables compromissions publiques, rependant la honte autour de lui, sur ses subordonnés médusés. Kitano et son sourire benêt, ses yeux tristes, son parler mitraillette, ses balourdises éthérées, semble le seul à comprendre, intuitivement, en père Noël à la fois tortionnaire et débonnaire.

Le visage de Bowie meurt, pour que les baisers indus soient dissous dans le sable et pour que s'achève cette guerre qui eut raison du vieux Japon, et de ses dettes d'honneur surannées.

Et puis, tel un diable en boîte, le visage de Kitano me saute à la gueule, et tout ressurgit. Le quartier latin, l'affiche du film, le troquet, la barmaid, et Kitano, toujours là,
Au fond des yeux.

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