Depuis le début de sa carrière, Ben Wheatley n'a été intéressé que par une chose. La quête de la violence de ses personnages. Peu importe le genre qu'il adapte, la comédie noire, le film d'horreur ou le thriller il pousse ses personnages dans leur retranchements et les regarde sombrer dans leur animosité refoulée. Comme si ces derniers n'ont attendus que ça toute leur vie. C'était d'autant plus visible dans son très bon et sous-estimé High-Rise où des individus de tout les jours se transformaient en lie de l'humanité une fois que l'immeuble dans lequel ils vivaient connaissait une panne de courant. Pourtant ils peuvent sortir, aller vivre ailleurs mais préfère se complaire dans la débauche et la violence. Dans cette quête d'ascension sociale, l'homme se rabaissant sur l'ordre moral. Des personnes à cran, prêt au moindre prétexte à exploser. C'est ce qui fait le cœur du cinéma de Wheatley et c'est le postulat central de ce Free Fire. Quand le cinéaste regarde du côté du cinéma d'action et enferme une bande de malfrat à la forte personnalité, le spectacle ne pouvait s'annoncer qu'explosif.


Les premiers plans de Free Fire sont aériens, filmant la ville en suivant une camionnette qui fait son chemin à travers elle. La caméra se rapproche du sol comme lorsque l'on zoom sur google map, Wheatley descendant des hauteurs de son High-Rise pour venir se placer au ras du sol. Cette continuité inverse va marquer ce Free Fire qui s'impose sur bien des points comme un diptyque avec le précédent film. Toujours accompagné d'Amy Jump, sa femme, au montage et au scénario, Wheatley reprend le principe du huit clos de son High-Rise et le remodèle pour en faire un film opposé mais complémentaire. Ici les personnages ne sont plus dans un immeuble révolutionnaire mais un entrepôt abandonné et crade, ils ne cherchent plus à y rester à tout prix mais veulent désespérément en sortir tandis qu'eux-mêmes sont des individus très différents. Dans High-Rise, on suivait des monsieur tout le monde qui basculaient dans les pires atrocités, alors qu'ici ce sont des criminels qui, au contraire, trouvent de la noblesse dans cette violence. Tout commence parce qu'un des personnages veut tuer le violeur de sa cousine. Un hasard étrange qui les réunit et qui va entraîner tout le monde à s'entre-tuer mais aussi à révéler leur vraie nature. Certains se battront par cupidité, d'autres juste pour ne pas mourir mais d'autres subissent le coup du sort et tente de faire au mieux, voire même de sauver des vies.


Le film joue habilement avec nos nerfs dans sa première partie, faisant mine de faire exploser la situation avant de calmer jeu. On est vraiment sur les dents en essayant de trouver d'où viendra l'ultime menace qui déclenchera la fusillade. En très peu de temps, et grâce à leurs personnalités fortes, on s'attache à ces personnages et on veut croire qu'ils pourront arrêter l'inévitable quand ils essayent à plusieurs reprises d'éviter le bain de sang. C'est probablement la première fois que Wheatley et Jump tente de refréner leurs personnages dans la violence, celle-ci est presque extérieur à eux. Il suffit de voir cette tristesse résolue et cette peur latente lorsqu'ils se résignent à l'inévitable. La violence étant une force incontrôlable. Wheatley arrive à incorporer une mélancolie palpable et un sens évocateur à ses images avant que s'ensuivent un jeu de massacres assez jubilatoire. Dès le début, avant de dégainer les armes, ce sont les répliques qui fusent et celles-ci font souvent mouche. Grâce à elles, on comprend avec aisance les relations entre les personnages et leur passif sans pour autant qu'ils aient le temps d'être vraiment développés. On se surprend à avoir de l'empathie pour eux à tel point que chaque mort à un réel impact sur le spectateur. On veut voir le couple sympathique formé par Brie Larson et Cillian Murphy s'en sortir, comme on perd au final de vue qui est l'ennemi de qui, les personnages semblant se perdre dans cette fusillade sans fin au point qu'on finit plus par voir cela comme un conflit fraternel.


Le film est en ça d'une finesse d'écriture assez incroyable, car ce second degré n'enlève jamais les enjeux, au contraire il les accentue. Car au fur et à mesure qu'on rit avec ou des personnages, la violence qu'ils se font devient plus difficile à voir. Ce ne sont pas des coquilles vides qui tuent d'autres coquilles vides mais bel et bien des gens de chairs et de sang qui s'éliminent sans la moindre pitié. En 1h30 de film, on en vient à ressentir plus de choses pour ses protagonistes que devant un blockbuster de plus de 2h qui pourtant prend plus de temps à les développer. Un tour de force assez impressionnant surtout dans une époque où il est de plus en plus difficile de s'investir dans des figures de cinéma de plus en plus lisses. Mais c'est aussi aidé par le casting en or massif de ce Free Fire. Tout les acteurs sont excellents et offre une partition toute en finesse. Brie Larson est la seule femme du casting et son personnage est finalement assez mis à l'écart, mais elle impose tout son talent comique ici et bénéfice d'une très bonne alchimie avec ses comparses masculins. Ceux-ci seront d'ailleurs peut être plus marquants car ils ont des personnages beaucoup plus "over the top". Cillian Murphy est sans doute celui qui est le plus noble de la bande et s'impose par son charisme phénoménal et sa classe naturelle tandis qu'on est surtout impressionné par la transformation d'Armie Hammer. L'acteur gagne en épaisseur ici et avec son flegme et cette dérision qu'il arbore, il fait de son personnage le meilleur du film et celui qui a le plus la tête sur les épaules. Sharlto Copley se lance dans un cabotinage dont lui seul à le secret, et même si cela peut agacer certains, la performance est souvent drôle. Mention spéciale à Jack Reynor méconnaissable avec son look de hippie et qui fait la paire avec un Sam Riley très bon en junkie, où les deux ont une rivalité qui tourne à l'hilarité la plus totale.


Ben Wheatley délaisse un peu l'esthétisme froid et stylisé de son précédent film pour revenir à quelque chose de plus brut avec ce Free Fire. Sa mise en scène prend d'ailleurs le parti inverse de son précédent film, se faisant plus rythmé et surtout constamment cloué au sol. Les personnages rampent et la caméra rampent avec eux. Il reste toujours à leur hauteur pour pleinement immerger le spectateur dans la fusillade. Une fusillade de quasiment 1h qui parvient sans cesse à se renouveler et qui évite habilement d'ennuyer le spectateur. Wheatley gère habilement son espace et utilise le décor avec inventivité pour créer le mouvement dans une situation qui appelle pourtant à l'inertie. Les mouvements de caméra sont ambitieux et maîtrisés tout comme le cadrage qui s'impose par son efficacité et aidé par une photographie très sèche qui rend tout l'aspect sombre et poussiéreux de l'entrepôt. Malheureusement, le film souffre d'un montage un peu trop aléatoire à certains moments qui fait que quelques enchaînements de plans sont assez curieux et tranchent avec la lisibilité de l'action. Un problème de découpage rare et pas excessivement gênant mais qui dans les moments les plus frénétiques devient assez visible.


Free Fire est, sans être exempt de défauts, un tour de force qui évite habilement de n'être qu'un pur exercice de style. Pourtant tout étant réuni pour qu'il tombe dans cet écueil mais c'est sans compter sur la finesse d'écriture du duo Amy Jump et Ben Wheatley, le casting purement brillant et la maîtrise visuelle du cinéaste. Beaucoup y verront sans doute un film "tarantinesque" mais c'est réduire le style bien particulier à une chose qu'il n'est pas. Même si il montre ici le même amour pour la réplique et les fortes têtes, son film n'est pas mue par les mêmes significations du cool qu'affectionne tant Tarantino. Il y a derrière une vraie recherche de la symbolique et des thématiques qui font sens et sont dans la continuité du cinéma de Wheatley. Car derrière cet apparent second degré se cache un propos bien plus tragique et surtout bien plus dense une fois mis en parallèle avec son précédent film. Avec Free Fire, Wheatley clôture un diptyque entamé par High-Rise. Deux faces inverses d'une même pièce qui permet au cinéaste de rendre son cinéma plus accessible au public, et même si il ne rencontrera pas encore le succès (son film est très mal distribué), il démontre toute les qualités dont il fait preuve. Un très bon film.

Frédéric_Perrinot
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le 21 juin 2017

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Flaw 70

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