Autant je connais mal le cinéma de Dumont, autant avec le seul visionnage de " La vie de Jésus ", je me rends compte à quel point ce type est un auteur et comment son cinéma est puissant, toujours en jouant sur cette recherche de " vrai ", et donc de " beau ". Au début de sa filmographie, il montrait une lumière qui jaillit de la bouse, dans le nord de la France, chez ces vrais gens, vos voisins, vos cousins éloignés. Mais lorsqu'il décide de s'attaquer à un grand sujet ( la France contemporaine ), et bien ... c'est que rien n'est très beau, très glorieux.


Et c'est avec l'idée de génie de prendre Léa Seydoux en premier rôle que Dumont nous embarque 2h14 durant, dans une aventure qui tire sur... les médias. Et déjà, le sujet semble logique. Si l'on devait retenir que quelques images des dernières années, lesquelles prendriez-vous ? Ces mêmes images ne sont-elles pas passées sur BFM ou CNews ? La malice du réalisateur, c'est de prendre l'une des actrices françaises qui n'a le moins de choses à prouver dans l'industrie pour lui donner un rôle d'une incroyable maturité, qui tire à charge dans son propre camp. Notez qu'en parallèle, Carax parle négativement de l'entertainment avec une Cotillard flemmarde et franchement pas au top. Anti Annette 1.


Revenons en à nos moutons: France est la plus grande journaliste de son pays, tout le monde la connaît, l'aime. Premier degré : oui, tout est fake, bla bla bla. Mais qui, que critique Bruno Dumont à travers cette histoire ? À mon sens, trois niveaux de lecture :
Il critique d'abord l'entre-soi bourgeois ( cette grande scène de gala philantrope ou l'on veut libéraliser le monde au point d'assassiner l'État et sacrer la FTN ), une critique évidente, mais toujours pertinente. Elle se manifeste avec beauté lorsque France dédommage Baptiste, nous ramenant à une morale bêbête dans laquelle on a toujours besoin de plus pauvre que soi pour se donner bonne conscience.
Il critique ensuite l'entre soi occidental, cette société composée de personnes qui croient vraiment s'émouvoir d'immigrés en regardant des images trafiquées par des journalistes en quête de choc et donc de clic et donc de money. Bien sûr, le citoyen français n'est pas responsable du malheur du monde. Notez toutefois toute la panoplie de jeux de mots faits avec le prénom de Léa Seydoux : la famille de Baptiste, sans doute issue de l'immigration qui dit " Merci France " en est un chouette exemple.
Enfin, et sans doute le plus beau geste du cinéma français de l'année, une charge envers l'individualisme paradoxalement noyé dans la multitude et les réseaux qui nous relient. Ici, c'est bien évidemment le motif récurrent de la larme qui entre en jeu. Tout est faux chez France. Elle n'existe tellement pas pour de vrai qu'elle n'est qu'une allégorie de la France d'aujourd'hui, celle qui entend des voix contradictoires dans sa tête, qui ne comprend plus rien à rien, qui est noyée dans le flux. Et dans ce champ chaotique, le VRAI surgit : France pleure. Il y a bien quelque chose de sincère qui jaillit, bien que Léa Seydoux pleure sur la demande du réalisateur. Mais ce motif, c'est la seule chose qui la relie au beau de ce monde.


Et quel beau ? Il apparaît deux fois dans le monde de France. Avec cette femme d'un violeur psychopathe, personnage dans lequel je pense que Bruno Dumont parle avec le moins de filtres, dans un message d'une grande beauté nous demandant de continuer à croire en l'humain, même après vingt ans... j'ai pas les mots, c'était sublime. Et un second moment, faisant appel à tous l'imaginaire que développe cet auteur : le jeune qui tabasse le vélo à la fin. Rendez-vous compte de la force du geste : le mari de France vient de mourir, elle est au plus bas, perdue entre le faux et le vrai, ne sachant qui croire, qui suivre, même ce mec qui l'a salie dans les médias puis qui vient dire qu'il l'aime. Et dans ces tourments amoureux, la mort d'un vélo, élément urbain par excellence, est montré avec encore plus de tragique que l'accident de voiture. C'est beau : c'est la violence d'une France qui se battra pour ce qu'elle veut avec conviction, c'est le signe qu'il reste quelque chose à sauver, qu'on se doit de raviver la flamme qui nous anime et qui nous éclaire.


Pas si étonnant que le film se termine sur un plan de France, la tête posée à la verticale sur une épaule, pas encore droite avec elle même, en phase, mais prête à accueillir la lumière, à aller la chercher. Elle s'égarera peut-être encore. Mais peut-être que dans vingt ans, France comprendra. Et nous devrons la saluer, la prendre dans nos bras, féliciter et célébrer ces jours heureux comme si jamais nous n'avions attendu.


Dédicace à Charles, jtm bg

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le 31 août 2021

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morenoxxx

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