Comme Juliette Binoche avec Camille Claudel 1915 (2013), le projet s'est fait grâce à Léa Seydoux, l'actrice désirant travailler avec Bruno Dumont. Un réalisateur au style bien particulier dans le paysage français, amateur de l'oreillette pour donner des instructions en plein tournage et toujours le premier pour filmer le Nord dont il est originaire.


France se présente d'abord comme une satire de l*'infotainment* et on peut s'amuser de la présence de Ciné+ aux financements, tant le groupe Canal semble avoir pas mal inspiré Dumont et son décorateur Erwan Le Gal. En effet, les plateaux de télévision sont très proches de ceux de Cnews, le logo et le nom de la chaîne renvoient à l'époque où elle s'appelait Itélé. Puis on y retrouve le même type de débats foireux / foirés. Vu la tendance de Vincent Bolloré à ne pas trop apprécié que l'on dézingue ses jouets (d'autant plus que Dumont n'est pas du genre gentil quand il parle de télévision), on ricane en voyant comment France se moque de son groupe.


D'autant que Dumont montre également comment certains reportages sont tournés, le spectateur assistant souvent à de véritables parodies de situations avec le tournage de plans de coupe (la petite lucarne qui veut imiter le grand écran), de plans sur la journaliste (faisant d'elle une star de l'image) et d'autres où les intervenants finiront avec des sous-titres n'ayant rien à voir avec ce qu'ils disent. France devient ainsi une fable sur le paraître et le jeu des apparences, où tout sent le faux jusqu'aux passages en voiture où on n'a pas l'impression d'être dans une voiture. Le décor apparaît plus comme une bulle à part avec le décor qui défile autour.


L'héroïne apparaît à la télévision comme quelqu'un de sûre d'elle, à qui tout réussit et avec un joli sourire. Mais dès qu'elle sort de l'image médiatique qu'elle a développé, c'est une femme triste qui pleure à peu près tout le temps (on pourrait en faire une rivière), s'ennuyant dans son mariage, se sentant mauvaise mère et même quand quelqu'un semble intéressé par ce qu'elle est et non l'image qu'elle renvoit, le couteau dans le dos n'est jamais très loin. France se rend compte qu'elle n'est pas forcément la grande journaliste qu'elle voudrait montrer et s'impose même comme une sorte de réalisatrice de sa propre destinée, imposant sa vision des choses à son caméraman.


L'apaisement viendra de la dernière partie où son monde s'effondre complètement, avec une impossibilité de revenir réellement au sommet, une famille qui explose et une tristesse qui la rend définitivement humaine et plus humble. Une scène va dans ce sens : France va devant un lieu de commémoration et une femme vient la voir pour lui demander un autographe. Il y a peu, France aurait peut-être fait ce geste, mais plus maintenant et pas là. Léa Seydoux est très convaincante, parvenant à incarner ce phénomène de paraître dans une solitude extrême sublimée par la musique de Christophe (son dernier travail). Dumont la rend à la fois très belle et très laide, la contre-plongée dans la voiture n'étant pas sans rappeler ce que David Lynch avait fait avec Laura Dern dans Inland Empire (2006).


Blanche Gardin incarne la partie grande gueule, une voix de la raison improbable qui vous suggère d'aller chez Dior quand vous venez de vous prendre une soufflante. Voire mieux, dit que les journalistes font de la merde alors qu'elle incarne toutes les dérives de l'infotainment à elle toute seule.


France a donc plusieurs couches et ne se réduit pas seulement à une satire du journalisme télévisée. Il exploite l'icônisation de ces stars éphémères, le traitement de l'information et s'avère être une tragédie de grande qualité.

Borat8
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Journal de bord 2021, 2021, Les films vus au cinéma - 2021 et Mad France (2020-)

Créée

le 9 sept. 2021

Critique lue 65 fois

Borat 8

Écrit par

Critique lue 65 fois

D'autres avis sur France

France
Moizi
10

Dumont s'exporte

Dumont s'exporte et ça lui réussit magnifiquement bien. France est peut-être, malgré les apparences, le film de Dumont qui se rapproche le plus de ce qu'il pouvait faire avant P'tit Quinquin,...

le 3 janv. 2022

100 j'aime

10

France
Cinephile-doux
8

Triste et célèbre

Il est quand même drôle qu'un grand nombre des spectateurs de France ne retient du film que sa satire au vitriol (hum) des journalistes télé élevés au rang de stars et des errements des chaînes...

le 25 août 2021

73 j'aime

5

France
blacktide
4

Punk à rien

Ralentissement moteur, apathie, fatigue sévère, idées noires, problèmes de concentration, désespoir, perte de motivation, plaisir absent : FRANCE n’est pas un film, c’est une dépression. Les...

le 2 sept. 2021

54 j'aime

5

Du même critique

Les Aventuriers
Borat8
9

L'aventure c'est l'aventure

Fort Boyard est diffusé en France depuis 1990 et a connu plus d'une version étrangère. La particularité du jeu est que le fort est un décor unique pour chaque version, monument historique situé dans...

le 12 avr. 2020

4 j'aime

Kaena : La Prophétie
Borat8
7

Entre deux mondes

En 2003, ce film d'animation français avait fait grand bruit avant sa sortie et pour cause, il était visiblement le premier long-métrage réalisé en CGI en France. Le souci est que le soufflet est...

le 19 févr. 2020

4 j'aime

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Borat8
9

Everybody's gotta learn sometime

Après une première collaboration bien loufoque (Human Nature, 2001), Michel Gondry et le scénariste Charlie Kaufman se lançaient dans cette histoire de voyage mental un peu dans le sillon de Dans la...

le 21 déc. 2019

4 j'aime

6