J’avais du « roi pêcheur » gardé le souvenir d’un grand film dont les propos mêlés d’humanisme et d’un non-conformisme résolument génial étaient relevés par une esthétique foutraque totalement pétulante.
Si ma mémoire est sélective elle n’aura guère du écarter que des broutilles qui s’avèrent à peine capables d’égratigner ce souvenir : le roi pêcheur est bien un grand film que je retrouvais sans déplaisir!

C’est, en bref, l’histoire d’une amitié qui prend racine au confluent de la culpabilité et du traumatisme.

Le coupable, c’est Jack, animateur radio parfaitement narcissique, un peu crétin provocateur à ses heures d’antenne, qui, une nuit, aiguillonne vilainement le thanatos d’un jeune homme solitaire au surmoi désossé par la vie moderne… C’est aussi un Jeff Bridge époustouflant par sa morgue, attendrissant par ses doutes et son attrition, laquelle mue progressivement en contrition puis, finalement, en rédemption.

Le dénominateur humain entre Jack et son « pêché», celui qui vient éclairer le quotidien miséreux du coupable en ouvrant la voie de la rédemption, c’est Parry : un clochard vivant sous le pont de Brooklyn qui s’est érigé une fantasmagorie arthurienne (idéal chevaleresque, quête du Graal…) en lieu de dérivatif à son malheur.
Robin Williams toujours très à l’aise dans les bottines du « déviant» livre là une de ses plus belles prestations; jouant tour à tour la passion, le bouffon, la folie, la catatonie, l’angoisse, le grand Robin crève l’écran et nous entraine dans son monde à tel point que New-York se laisse de temps en temps oublier au profit d’une métonymique terre médiévale prodigue en occurrence de quêtes romanesques.

De ce croisement entre les trajectoires déclinantes des deux hommes Terry Gilliam trouve matière à épancher son révisionnisme vibrionnant : le clochard est présenté comme « garde-fou » moral avec l’idée latente d’une pauvreté structurale pour nos sociétés, les normes bien pensantes sont assaillies et la folie présentée - dans une vision légèrement antipsychiatrique - comme une raison tout autant valable que le bon vieux sens commun. C’est un peu naïf et, en outre, le monde construit par Gilliam prête trop facilement le flanc aux critiques du réalisateur mais ça reste fichtrement savoureux.

Histoire d’amitié vraie, romance sur le thème « De la tourbe naissent des nénuphars », « Le roi pêcheur » est une œuvre quasi-parfaite qui souffre malheureusement son bémol : un tel choix des sujets exige une sentimentalité que Gilliam déporte épisodiquement vers un sentimentalisme dont les ficelles manquent de subtilité.
C’est très dommage mais loin d’être insupportable surtout que le tout détient une esthétique de dingue !

Comme d'hab on vit le film entre baroque bricolé, surcharge étudiée et symbolisme biscornu et la réalisation est évidemment splendide : on s’esbaudit sans forcer sur la beauté des scènes (l’ingénue étourdie traversant Grand Central Station promue salle de bal sous le regard de Parry), de la direction artistique (les décorateurs de Gilliam doivent prendre leur pied…) et puis de cette façon de filmer propre au monsieur : ça chaloupe, ça virevolte, ça fait des plans vertigineux, ça vous prend aux tripes.

Malgré les petites faiblesses que je ne remarquais pas dans mon adolescence (des vétilles vous dis-je!), franchement, c’est génial ! Si vous ne l’avez pas vu lancez-vous, c'est une valeur sûre.
Luxien
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le 15 août 2014

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Luxien

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