FIRST MAN de Damien Chazelle
Le rêve n’a pas de limite.
Passer d’élève à virtuose acclamé de la batterie pour Andrew, se faire un nom à Hollywood pour Mia, ouvrir un établissement où toutes ses lettres de noblesses sont rendues au jazz en plein Los Angeles pour Sebastian … et même décrocher la lune pour Neil.
Avec Damien Chazelle, le rêve n’a pas de limite. Et il semble que le talent non plus.
J’ai été scotché par la tension psychologique et physique dans laquelle m’a plongé Whiplash à l’époque où je l’ai découvert. C’est la volonté d’un jeune passionné qui y parle, c’est l’instabilité d’un professeur frustré qui y crie. C’est doré comme les cymbales, c’est rouge comme le sang sur les mains qui portent difficilement les baguettes. C’est le premier film de Damien Chazelle, et c’est renversant. J’ai vite compris après l’avoir vu qu’il était urgent que j’aille vivre l’expérience La La Land. Que dire de ce chef-d’oeuvre … ? Tout a été dit.
Comme sans doute beaucoup de gens, lorsque j’ai su ce que Damien Chazelle avait décidé d’aborder dans son troisième film, le premier après le tsunami La La Land, je me souviens avoir été à la fois déboussolé et admiratif. Déboussolé par ce projet, sur le papier tellement éloigné de ses deux premiers films eux-mêmes pas forcément proches mais quand même similaires sur certains thèmes. Admiratif justement de la volonté évidente de Damien Chazelle de ne pas se reposer sur le succès de ses deux premiers films et de changer complètement d’univers avec First Man.
Ce que j’ai principalement aimé dans ce film, c’est qu’il est finalement venu contredire ce qu’un certain nombre de gens pouvait en attendre. On s’est tous dit, je pense, que Damien Chazelle allait, avec cette œuvre, plonger complètement dans l’action, la science-fiction, le spectaculaire associé à l’idée même de conquête de l’espace et d’exploit lunaire. Oui, il y a de ça : les effets spéciaux sont géniaux, les différentes scènes sur la préparation de la mission Apollo 11 sont à vous clouer au siège, celle de l’alunissage n’en parlons pas ! Mais First Man, c’est loin de n’être que cela.
Chazelle raconte avant tout le parcours d’un homme. Rien de plus en réalité. Un homme, Neil Armstrong, qui comme Andrew dans Whiplash ou Mia et Sebastian dans La La Land nourrit un rêve, un idéal, un objectif personnel autant que national. Un homme que l’on voit trimer à concilier la grande partie de sa vie qu’il consacre à Apollo et celle qu’il donne à sa femme et ses deux fils. Un homme qui a enterré sa fille quelques années avant et qui garde son bracelet dans un tiroir avant de le laisser sur la lune dans un scène absolument sublime, comme pour dire « tu vois ma fille, j’ai décroché la lune pour toi. ». La lune, il la regarde souvent, et la lumière qu’elle dégage baigne magnifiquement l’identité visuelle de l’œuvre.
Ainsi Damien Chazelle réussit quelque chose d’ultra fort selon moi.
Il nous coupe le souffle comme tout bon film abordant le thème de la conquête spatiale le fait, grâce à des scènes d’action suffocantes dans lesquelles le spectateur, par des plans très rapprochés et un travail du son énorme, est autant enfermé que les personnages à l’intérieur des minuscules compartiments destinés à sortir de l’atmosphère.
Il nous émeut profondément tant le film est intime, humain et dépeint magnifiquement la peur constante d’une épouse jamais certaine que son mari rentrera à la maison en vie, les angoisses d’un homme obsédé par un point blanc dans le ciel noir, marqué à jamais par la perte de la chair de sa chair, amoureux de sa famille mais souvent mutique et maladroit pour s’exprimer avec elle.
Il signe des scène qui, à mon sens sont mythiques : toute la séquence de l’alunissage, celle où il tente tant bien que mal d’expliquer à ses fils qu’il ne reviendra peut-être jamais de sa plus grande mission, ou encore la scène finale.
Rajoutez à cela une superbe photographie et bien sûr la bande originale de Justin Hurwitz (selon moi la meilleure des trois films de Damien Chazelle) et vous obtenez un bijou, un film qui m’a profondément marqué et que je conseille à tout le monde.