Découvert il y a trois ans avec son brillant "Whiplash", consacré par la profession il y a un an et demi avec son triomphal "La La Land", le jeune réalisateur Damien Chazelle nous revient déjà avec un nouveau film qui, de prime abord, peut sembler déconcertant dans la mesure où il s'écarte radicalement du thème central de ses deux premières oeuvres : la musique et son importance cruciale dans la vie de ses personnages.
Avec "First Man", Chazelle ne raconte ni plus ni moins que le récit de la célèbre mission Appolo 11, durant laquelle l'astronaute Neil Armstrong est entré dans l'Histoire pour avoir été, le 21 juillet 1969, le 1er homme à marcher sur la lune.
S'il change totalement de registre, le réalisateur n'en reste pas moins fidèle à son thème de prédilection qu'il développe depuis le début de sa carrière, à savoir le combat personnel d'une personne (homme ou femme) bien décidé à aller jusqu'au bout de ses rêves, quoi qu'il en coûte.


Tout comme Andrew Neyman, le héros de "Whiplash", Mia Dolan et Sébastien Wilder, personnages principaux de "La La Land", Neil Armstrong vu par Damien Chazelle apparaît comme un homme malmené par la vie (le décès de sa fille de 3 ans) qui se réfugie dans sa passion pour son travail d'astronaute pour espérer y trouver une sorte de réconfort, de nouvel élan. Pour rendre compte de ce constat, Chazelle opte pour une mise en scène technique très physique, privilégiant les "Gros Plans", et même "Très Gros Plans", sur le visage d'Armstrong, afin d'immerger totalement le spectateur dans l'état d'esprit de cet homme blessé au destin finalement extraordinaire. Si cette façon de faire se révèle subtile et superbe, c'est parce que le réalisateur parvient à éviter toutes les facilités propres au biopic classique hollywoodien; à savoir un académisme superficiel, un patriotisme exacerbé où encore la glorification exacerbée d'une figure américaine mythique. En lieu et place de ces facilités, Chazelle leur substitue une approche très humaniste, centré avant tout sur l'homme plutôt que sur la mission Apollo 11 qui finalement n'a que peu de suspense dans la mesure où nous connaissons tous son histoire. Cette approche humaniste se symbolise par le fait de filmer le plus souvent Armstrong à l'intérieur de lieux clos comme des cockpits étroits ou des navettes (dans le cas des séquences se déroulant dans l'espace), ou des chambres et salles de travail (dans le cas de celles se déroulant dans la vie privée de l'astronaute). De même, la manière de montrer l'espace, à travers des télescopes, des lignes d'horizon fuyantes ou encore la vitre d'un hublot renvoient à cette envie de la part du réalisateur d'être au plus proche de l'intimité de son héros. De ce parti pris de mise en scène radical (fortes utilisation du "Gros Plan" et du "Très Gros Plan", personnage principal peu bavard montré le plus souvent en lieu clos), Chazelle en tire le portrait d'un homme solitaire et triste, mais qui voit en la conquête spatiale une manière de se sentir grand et important.
A cet égard, le jeu habituellement mono-expressif, froid et distant de Ryan Gosling, dans le rôle de Neil Armstrong, s'il ne pourra pas manquer d'en agacer certains, trouve ici un certain sens dans la mesure où on lui demande d'incarner un personnage écorché vif meurtris par les épreuves de la vie.


Si la mise en scène est brillante, on peut néanmoins lui trouver quelques reproches à faire au niveau du fond. Si le film se veut avant tout un portrait sur Armstrong, il y est aussi question de la mission Apollo 11 que Chazelle n'oublie pas de traiter, le temps de quelques séquences lunaires superbement filmées. Malgré tout, il est dommage que tout cela soit montré de façon trop précipitée, un peu comme si, de peur de ne pas suffisamment se concentrer sur son personnage principal, le réalisateur choisissait d'aborder tout le reste à la va-vite. On songe notamment à Janet, la femme d'Armstrong, abordée de manière expéditive (en gros, la femme livrée à elle-même qui souffre des absences à répétition de mari) et dont on ne saisit pas très bien l'importance dans le parcours personnel du cosmonaute. De même, bien qu'évoqué de temps à autre (sous forme de jargon scientifique), la préparation de la mission Apollo 11 n"est traité que via quelques scènes vraiment très courtes entre Armstrong et ses collègues de la Nasa.
Certes, on n'est ni dans "Gravity" ni dans "Interstellar", il n'est nullement question ici de suspense spatial (vu que nous savons tous déjà que l'homme réussira son pari de marcher sur la lune) et encore moins de science-fiction. Ceci dit, on peut néanmoins regretter que Chazelle ait volontairement sacrifié son contexte historique pour se focaliser uniquement sur son personnage. Oui, Neil Armstrong est un personnage historique psychologiquement complexe et donc non lisse mais au final, il n'apparaît ni plus ni moins que comme un homme plutôt ordinaire confronté à ce que la vie peut nous réserver de pire en terme de souffrance personnelle, soit un personnage de cinéma comme on n'en a déjà vu des centaines.
Là où, dans ses deux films précédents, Damien Chazelle parvenait très bien à rendre compte de la mentalité d'un milieu bien défini (la musique dans "Whiplash" et son besoin fataliste de quitter tout ce à quoi on tient pour la vivre pleinement, le cinéma hollywoodien dans "La La Land" et son impitoyable loi du marché), il n'en est rien dans "First Man"; mis à part dans la volonté de la Nasa de supplanter la Russie en matière de conquête spatiale.
Cela s'expliquerait-il par la peur de s'écarter d'un peu trop près de la figure mythique de son personnage ?
Quoiqu'il en soit, ce choix de raconter de façon très minime les aléas (même minimes) entourant la vie d'Armstrong font que le film, en dépit de l'intelligence de sa mise en scène et de sa volonté de s'éloigner de toute facilité hollywoodienne, ne parvient malheureusement pas à atteindre le degré de fascination que l'on pouvait éprouver devant "Whiplash" et même le très médiatisé "La La Land".


Reste que "First Man" constitue malgré tout un bon film fait par un réalisateur visiblement très talentueux, peut-être pas la claque attendue, mais une oeuvre intelligente et surtout différente sur le destin d'un homme qui, en voulant conquérir l'espace, y voyait une manière de prendre sa revanche sur la vie.

Créée

le 27 oct. 2018

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