Au commencement, il y a cette berceuse parlant de la Lune d'un père chanté à sa fille gravement malade, un moment d'innocence pris sur le vif et point crucial du parcours d'une figure amenée à rentrer dans la mémoire collective de l'Humanité en accomplissant l'incroyable : être le premier à fouler le sol lunaire.


Après l'enterrement de la fillette, Neil Armstrong s'enfermera dans une pièce pour éclater en sanglots, seul le spectateur sera le témoin privilégié de ce moment caché à la vue de tous comme pour mieux comprendre l'importance de cette fêlure sur les événements à venir et, évidemment, que derrière un héros rentré dans les livres d'Histoire mais dont on connaît finalement peu de choses, il y a avant tout l'histoire d'un homme brisé par une douleur insurmontable.
Le futur astronaute ne reviendra d'ailleurs jamais directement sur ce décès à part lors d'un entretien avec les pontes de la NASA ou d'un rare moment de laisser-aller sur lui-même avec un collègue (il se ressaisira aussitôt en s'échappant) mais il sera bel et bien là, perpétuellement accroché à son ombre pour devenir tout autant un moteur le propulsant aveuglément vers sa destinée qu'un mal rongeant sa capacité à pouvoir ressentir à nouveau.
L'approche clinique, tenant presque du documentaire, de "First Man" sera bien entendu la parfaite traduction de l'état d'esprit d'un Neil Armstrong se parant de la froideur de son environnement professionnel dans l'espoir de quitter un jour une Terre où, pour lui, ne réside plus que sa douleur. La lumière des avancées vers l'exploit en devenir éclairera parfois le film et le regard d'Armstrong en direction des étoiles mais l'enchaînement des tests autour des missions Gemini ne fera finalement que nourrir encore un peu plus la silhouette de la Mort toujours bien trop présente dans son sillage et son obsession grandissante à encore aller plus loin (et plus haut en l'occurrence) au détriment du temps passé avec sa famille considérée à ses yeux comme une probable réminiscence permanente du souvenir de sa fille.
Que cela soit aux conférences de presse où il apparaîtra renfermé face aux questions légères de journalistes (les images d'archives sont là pour témoigner de cette vérité), à une réception à la Maison Blanche où le dialogue avec un sénateur ne réagissant que par des données économiques sera impossible et, encore plus que tout, dans sa propre maison où il ne sera désormais plus qu'un fantôme de passage en attente de son départ au grand dam de son épouse et de ses deux fils, l'homme semblera ne jamais se sentir à sa place en dehors des exercices à la NASA et de rares moments partagés avec ses collègues/semblables.
Quelques jours avant le voyage lunaire et devant sa démission familiale de plus en plus évidente, sa femme le mettra dans l'obligation de parler à ses fils, de leur dire simplement "au revoir" et peut-être "adieu" face aux risques encourus. Cette séquence déterminante du film pour comprendre la perte de repères d'Armstrong verra ce qui aurait dû être un moment poignant entre un père et ses fils lors d'un dîner en famille se transformer en simili-conférence de presse où Armstrong prendra la posture robotique qu'il y aborde habituellement pour répondre froidement aux questions de ses fils, incapable d'extérioriser la moindre empathie à leur égard. À ce moment, le fossé est désormais trop grand entre lui et les siens et seul l'épopée qu'il s'apprête à vivre paraît être un moyen de le combler.
Outrepassant toute la symbolique héroïque (pas de passage sur le drapeau américain planté par exemple), le dernier acte retraçant ce vol vers l'inconnu qui deviendra un grand pas pour l'humanité sera avant tout un grand pas pour l'homme, Neil Armstrong, vers l'acceptation de son deuil et la dernière scène de "First Man", muette, sublime et chargée d'une émotion quasiment palpable, celui vers des horizons meilleurs pour lui et ses proches.


Choix ô combien pertinent par excellence, Ryan Gosling aura interprété avec maestria ce Neil Armstrong de l'ombre arborant un visage impassible derrière lequel l'intensité de sa douleur peine parfois à se dissimuler et où chaque manifestation de ses sentiments paraît tenir du miracle. Face à lui, Claire Foy en épouse cherchant à briser sa carapace infranchissable et la pléiade de secondes rôles (mention spéciale à Corey Stoll en Buzz Aldrin exécrable) n'auront pas démérité et, surtout, se seront tous fondus à la perfection dans l'approche de Damien Chazelle cherchant à privilégier majoritairement l'anti-spectaculaire dans le but de se placer à l'échelle humaine de ceux qui ont accompli, vécu et partagé un tournant de notre Histoire.
D'ailleurs, "First Man" pourrait presque être le titre d'un film de super-héros, c'est l'exploit héroïque et la petite phrase de Neil Armstrong qui nous restent en mémoire après tout, mais, ironiquement, le long-métrage de Damien Chazelle a préféré, lui, nous raconter l'identité secrète derrière ce "super-héros", celle de cet homme qui a fui vers les étoiles pour guérir de la blessure qu'il avait connu sur la Terre. Et cette histoire était toute aussi belle que la grande...

RedArrow
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le 20 oct. 2018

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RedArrow

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