Je dois confesser que je vais voir chaque Damien Chazelle toujours précédé d’une hype qui m’apparaît, par esprit de contradiction, suspecte avec le frein à main. La surprise n’en est que meilleure quand malgré cet état d’esprit j’en sors satisfait comme c’est le cas avec First Man.


Il semble presque inévitable de voir Chazelle s’attaquer à un film sur la conquête spatiale tant cet accomplissement extraordinaire aurait pu lui permettre de célébrer cette dévotion au professionnalisme qui doit primer sur tout y compris sur la vie sentimentale et familiale pour parvenir à l’excellence. Pourtant le héros de First Man, Neil Armstrong n’est pas contrairement aux précédents protagonistes de ses films tiraillé entre l’amour de son métier et sa vie intime , si il est dévoué à sa mission et n’est jamais aussi à l’aise que seul dans le cockpits d’engins aux limites de l’atmosphère. et si il a énormément de mal à communiquer avec les siens, il a néanmoins une vie familiale. Le film est bâti sur une série de contrastes à l’image de son protagoniste Neil Armstrong paradoxalement une figure parmi les plus connues de l’histoire de l’humanité et dont on ne sait quasiment.


Contraste entre l’immensité des distances à couvrir et l’impression de claustrophobie qui se dégage des engins qui le permettent. Le réalisateur de Whiplash limite presque entièrement l’action aux astronautes eux-mêmes: ce qu’ils voient et entendent au cours de leurs missions évitant les vues panoramiques et cela des la séquence d’ouverture qui le voit atteindre les limites de l’atmosphère avec son X-51. Son directeur de la photographie Linus Sandgren , qui troque les couleurs chatoyantes du cinemascope de La la land pour une image granuleuses aux couleurs désaturées cadre les protagonistes au plus prés afin de nous faire partager leur espace et leurs émotions Cette proximité nous enferme littéralement avec eux dans ces cabines exiguës, grinçantes et hurlantes, prête à se disloquer à tout moment (la fragilité de ces vaisseaux est une constante à travers tout le film). Chaque détail, de la corrosion sur une vis à la condensation sur une fenêtre nous rendent l’expérience viscérale. Les contre-champs ne libèrent que rarement le spectateur puisque ils ne nous montrent l’immensité de l’espace qu’au travers des hublots étroits des capsules. Bien que l’issue des missions d’Armstrong ne fasse évidemment aucun doute, cette approche bien que refusant un spectaculaire trop ostentatoire n’empêche pas ressentir de manière viscérale le danger.


Autre contraste entre la complexité de la mission et la technologie dont dispose la Nasa pour l’accomplir que rend parfaitement la sobriété du production design de Nathan Crowley collaborateur attitré de Christopher Nolan. Damien Chazelle en insistant sur chaque sur chaque boulon chaque rivet de la coque de ses capsules , rappelle que la conquête de la lune est un des derniers accomplissements de l’ère industrielle. Si son film n’adopte pas la forme classique des films historiques il fait entrer des éléments du contexte de l’époque à travers des actualités , des discours d’époque et même un poème de Gil Scott Herron qui rappelle que tout le monde ne partageait pas l’enthousiasme pour la conquête spatiale et que l’Amérique d’ Apollo était aussi déchirée par des mouvements sociaux et raciaux.


Contraste toujours entre l’aspect presque banal du travail quotidien des astronautes en regard de la portée extraordinaire de leur mission. Comme dans cette scène ou Deke Slayton (Kyle Chandler) annonce à Armstrong en train de se laver les mains qu’il dirigera la mission et sera donc sans doute le premier homme à marcher sur la lune. C’est par ce biais que Damien Chazelle glisse au cœur de la tension du film un humour discret dans les cours de simulation de vol et de physique des fusées au fur et à mesure que les personnages secondaires prennent forme portés par un casting extraordinaire.


Contraste enfin qui se retrouve même dans la cabine de la mission finale vers la lune avec la cohabitation entre Buzz Aldrin (un excellent Corey Stroll) un ambitieux volubile qui dit toujours ce qu’il pense et un Armstrong taiseux, à qui la compréhension laconique entre ses camarades astronautes convient parfaitement, incapable de communiquer ce qu’il ressent même à sa femme et ses enfants. L’épouse d’Armstrong Jan est interprétée avec fièvre par Claire Foy qui l’ incarne comme quelqu’un qui aspire à une vie «normale» et tente de la mener dans des circonstances extraordinaires au fur et à mesure que le film avance, la performance de Foy grandit en force et amène le spectateur à réaliser que le fardeau de Jan n’est pas seulement sa propre peur mais aussi d’exprimer toutes les émotions que son mari réprime. Armstrong reste une énigme même sous les traits de Damien dont le visage reste indéchiffrable même si on devine les tourments qui l’assaillent par un frémissement dans la voix ou un regard qui s’assombrit. Sa performance délicate et convaincante incarne Armstrong comme un fougueux qui a appris à garder ce qu’il ressent à l’intérieur mais qui laisse passer juste assez d’émotion, quand quelqu’un le croise, pour inspirer une autorité discrète.


First Man est un film hanté par la mort qui semble roder autour d’Armstrong . Peu après être revenu vivant du vol qui ouvre le film , on le suit dans les derniers jours de sa petite fille atteinte d’un cancer qui finira par l’emporter. Ces séquences éclairent la personnalité d’Armstrong qui suit le traitement de sa fille avec la précision de l’ingénieur qu’il ne cesse jamais d’être. La faucheuse frappe ensuite de façon régulière ses compagnons, en particulier Ed White (un superbe Jason Clarke) avec qui les Armstrong avaient tissé un lien particulier ainsi qu’ Elliot See (Patrick Fugit). Le destin de ces deux hommes accentue considérablement les enjeux humains du drame. La manière dont Chazelle dépeint l’accident lors d’un test Apollo 1 qui coûte la vie à trois astronautes est terrifiante avec ces hommes serrés les uns contre les autres soudainement engloutis par les flammes à cause d’une simple étincelle, le vide provoqué par la combustion faisant s’affaisser vers l’intérieur la porte de leur capsule. Et bien-sur la mort plane au-dessus de sa famille alors qu’il s’apprête à effectuer le voyage le plus dangereux de l’histoire humaine. FirstMan-one-cinemadroideAinsi au delà de l’aspect viscéral attendu de sa représentation de la conquête spatiale Damien Chazelle et son scénariste Josh Singer (Pentagon Papers mais aussi l’excellent Spotlight) m’ont vraiment convaincu par l’hypothèse : la motivation ne se trouve ni dans le patriotisme ni dans l’ambition mais dans une tentative impossible d’échapper au chagrin. C’est cette clé qu’il donne au mystère Armstrong tout à la fois psychologique et poétique qui donne tout son sens au projet. La marque ultime de la réussite de First Man tient dans le fait que cette révélation apparaît lors de la scène si attendue mais redoutée des premiers pas sur la Lune qui parvient à être tout à la fois la plus spectaculaire mais aussi la plus bouleversante du film. La majesté silencieuse du drame doit beaucoup à la partition magistrale de Justin Hurwitz, à l’image du film, intimiste et majestueuse, allant de passages tendres et mélodiques à de rares explosions de puissance lorsque la surface lunaire est aperçue pour la première fois. Un morceau tout particulièrement (The Landing )sublime, évoque sans les singer les meilleurs scores de Hans Zimmer, et le place donc à la table des grands.


Conclusion : Au delà de l’aspect viscéral extraordinaire de sa représentation de la conquête spatiale Damien Chazelle est convaincant par la clé à la fois psychologique et poétique qu’il donne au mystère du personnage si connu mais énigmatique d’Armstrong. Un point de vue qui donne son sens au projet.

PatriceSteibel
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le 15 oct. 2018

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JorikVesperhaven
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Chazelle se loupe avec cette évocation froide et ennuyeuse d'où ne surnage aucune émotion.

On se sent toujours un peu bête lorsqu’on fait partie des seuls à ne pas avoir aimé un film jugé à la quasi unanimité excellent voire proche du chef-d’œuvre, et cela par les critiques comme par une...

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