Damien Chazelle, conquête de l’espace, titre quasi-mystique : voilà une combinaison qui ne pouvait pas me laisser indifférent.


Et pourtant – je dois bien vous l’avouer – j’avais du mal à me motiver pour aller le voir ce « First Man ».
De quoi est-il question dans ce film ?
De l’histoire de Neil Armtrong et de ses compagnons qui partent à la conquête de la Lune ?
OK, le sujet n’est pas inintéressant en soi mais, franchement, j’avais du mal à voir ce qui allait pouvoir m’appâter là-dedans.
Tout de suite me sont venues en tête les images de films comme « Apollo 13 » ou bien encore le récent « les figures de l’ombre ».
Je me suis dit que tout avait déjà été raconté ; que mon espace de représentation mentale était déjà saturé ; et que ce film allait se risquer sur le terrain miné de l’hagiographie et de l’épopée patriotique pour pas grand-chose…


Eh bien pourtant il n’en fut rien.
Non seulement ce « First Man » évite ces écueils, mais en plus il parvient à nous fournir une vraie proposition de cinéma qui a sa singularité et son identité propre.


Première force de ce « First Man » : ne pas faire de la conquête de la Lune son sujet principal.
Comme son titre l’indique, ce qui nous intéresse ici, c’est l’homme : Neil Armstrong.
Et la belle astuce du film pour bien recentrer l’intrigue sur son héros fut de construire l’histoire de conquête de la Lune autour d’une histoire de deuil.
Ainsi, le voyage vers la Lune est-il un voyage à hauteur d’homme ; un voyage impossible ; mais une épreuve qu’il va falloir malgré tout apprendre à surmonter pour espérer revenir « en vie » (selon tous les sens du terme) auprès des siens.
Ainsi la conquête vers la Lune est-elle présentée comme une échappatoire, un effort sur soi, une plongée vers la peur et l’inconnu…


Et c’est d’ailleurs là que se trouve la seconde force du film : l’évitement du patriotisme et de l’hagiographie.
A ainsi focaliser sur son personnage et son enjeu personnel, tous les enjeux politiques se retrouvent traités de manière extérieure, sans jugement. Les questions sont bien abordées – et de manière pertinente qui plus est – mais tout cela ricoche sur le protagoniste.
Ses préoccupations sont ailleurs. Le contexte du moment est juste une toile de fond qu’on pose là, qu’on ne justifie jamais, mais qu’on n’ignore pas pour autant.


Et par cette exploration de l’espace à hauteur d’homme, ce « First Man » arrive à une troisième force : celle d’une réalisation à fleur de peau qui dispose d’un pouvoir d’immersion assez sensationnel.
Chaque expérience spatiale est pensée de telle manière à ce qu’on la vive à la place d’Armstrong.
Vues subjectives. Vibrations du cadre. Inserts multiples sur des détails tels que des boulons, des jointures, des flammes qui rappellent l’idée d’un assemblage fragile. Sound design qui renforce cette impression de fragilité afin qu’elle devienne vraiment palpable. Et surtout, absence assez régulière de musique (surtout lors de la première moitié) afin que la restitution sensorielle soit optimale.


Sur ce plan là, Damien Chazelle réalise vraiment un tour de force.
En termes de montage, de photo et de rythme, chacune de ses scènes dans l’espace est un trésor de mise en scène, qu’il s’agisse aussi bien de l’introduction dans le X-15, de la première mission Gemini, ou bien encore du final sur la Lune.
Et si au début du film j’avais quelques réserves sur les passages de respiration de l’intrigue, notamment ceux avec sa femme et ses fils (aussi bien pour la forme caméra au poing trop chaotique que pour l’intérêt en termes de fond), au fur et à mesure du déroulement de l’intrigue je n’ai pu que céder face à la cohérence de l’ensemble. Non, la question de la famille d’Armstrong n’est pas ici qu’un simple artifice pour humaniser le héros, c’est au contraire le cœur du sujet.


Le sujet c’est ce fameux « First Man », et ce que veut nous dire ce film, c’est qu’Armstrong, avant d’être le premier homme à marcher sur la Lune, il est avant tout un homme.
Et d’ailleurs quelle est la première révélation que nous fait cet homme exceptionnel ?
Il nous dit que, vu de l’espace, les choses paraissaient bien plus fragiles.
Armstrong ne prend pas de la hauteur pour se grandir. Il prend de la hauteur pour mieux saisir la fragilité des choses. Mieux les accepter pour être en mesure de vivre avec.
Par ce simple procédé, Damien Chazelle transforme un événement historique en la simple métaphore d’une aventure universelle et bien terre à terre.
En cela, il y a beaucoup de l’« Interstellar » de Nolan dans ce film, aussi bien dans le fond que dans la forme.
Mais c’est plus épuré, moins discursif.


Et ce qu’on perd finalement en véritable profondeur de propos (ce qui pourrait être d’ailleurs ma seule réserve pour ce film, car au fond sa démarche ne dit pas grand-chose de neuf, de profond ou de subtil), je trouve que je le retrouve malgré tout dans le plaisir à se laisser saisir par un remarquable exercice formel d’autant plus efficace qu’il est dépourvu de fioriture.
D’ailleurs, tout le symbole de cette art maitrisé du « ni-trop-ni-trop-peu » pourrait se résumer à la seule musique de ce film.
Sachant se faire rare en début de film, elle parvient à s’affirmer et à appuyer la montée en puissance de l’intrigue sans trop en faire.


Moi je suis ressorti de là comblé, ayant le sentiment d’avoir assisté à un film abouti qui, à défaut de me raconter quelque-chose d’extraordinaire, a su au moins me proposer une vraie expérience de cinéma.
Pour le coup c’est vraiment un tour de force de l’ami Chazelle.
Chapeau à lui et bravo l’artiste. Voilà bien un film qui vaut là son petit coup d’œil.

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7

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