Après être entré dans l'histoire comme le plus jeune lauréat de l'Oscar du Meilleur Réalisateur, Damien Chazelle ne se repose pas sur sa réussite et pars vers une direction complètement différente (en témoigne également sa liste de projets) pour montrer que son génie précoce ne se limite pas qu'au domaine de la musique.
C'est donc dans un biopic sur le plus grand exploit de l'histoire de l'Humanité qu'il se lance, et sur l'un de ses plus grands héros qu'il va centrer l'attention: Neil Armstrong.


Prenant exemple sur les plus belles œuvres filmiques sur la conquête spatiale, depuis 2001, l'Odyssée de l'Espace jusqu'à L’Étoffe des Héros (sympathique référence à Chuck Yaeger au passage) dont il reprendra l'idée d'images d'archives de personnalités et d'engins volants pour illustrer la volonté du moment pour l'Homme à dépasser sa condition terrestre. Chazelle optera pour une mise-en-scène au style documentaire (caméra à l'épaule, proche des visages) pour parler autant de Neil Armstrong lui-même que de l'Humanité en général, ce héros partageant la quintessence de cette détermination à franchir le mur qui sépare un être ordinaire d'un extra-terrestre.


Sur le plan technique, rien n'est négligé. L'approche du documentaire vient nous clouer au sol et renforce l'effet d'accomplissement de la mission aussi irréel parait-elle tant elle prend en compte autant de facteurs incompréhensibles pour le commun des mortels. Les acteurs tous investis dans la mission de retranscrire la crainte de l'inconnu et la colère de ceux qui souhaitent la braver, tant maternelle (Claire Foy) que le simple mépris des Terriens tel que ceux qui ont l'esprit tellement terre-à-terre qu'ils ne voient que l'aspect financier ou idéologique derrière une telle dépense vitale qui transcende notre condition, comme le rappelle les coupures des détracteurs au temps du Vietnam et du Peace and Love contre l'Empire Américain.
Fidèle à lui-même, le soin qu'apporte Chazelle à la musique est particulière et commune aux films qui l'ont précédés. Justin Hurwitz est discret au départ, terre-à-terre pour finalement lâcher de véritables bouffées symphoniques pour combler le vide sidéral.


Chazelle reste extérieur à tout ce qui entoure les personnages par l’ambiguïté qu'il maintient entre eux et la caméra. Sans jamais qu'Armstrong n'avoue explicitement ce qui le motive (Ryan Gosling toujours aussi talentueux, reste économe en dialogues), et c'est pourtant par cette approche au moyen de petits détails que First Man maintient une attention particulière. Une demande de la part du réalisateur, un engagement à comprendre.
La vie de Neil Armstrong, depuis le pilotage de l'avion X-15 au premier pas de l'Homme sur l'Astre Lunaire en passant par le décès de sa fille à qui il chantait la bienveillance du nocturne, devient un terrain d'analyse pour n'importe quel spectateur. Une question se posera au-delà de la compréhension de la mécanique alambiquée de l'esprit humain que constitue Armstrong: pourquoi l'Homme se tourne-t-il vers le ciel ? Pour l'armement ? Pour fuir une Terre gangrenée par la folie ? Pour en mettre plein la vue à une idéologie ennemie ? Ou peut-être est-ce simplement parce que l'Homme est comme ça, avide de découverte, les yeux illuminés par l'impossible, motorisé par ce goût de l'aventure qui permet à l'Humanité de dépasser sa condition terrestre (point de vu cristallisé par le discours d'Ed White, aka Jason Clarke, à la télé. Disant grosso modo qu'une Humanité qui préfère rester sur ce qu'elle est une Humanité qui refuse de progresser, amenant à la stagnation et le repli sur soi).


Pourtant, aussi enviable cette soif de vivre au-delà de ses limites soit-elle, Chazelle rappelle ce qu'était Neil Armstrong, voir chacun d'entre-nous par ses dilemmes plus qu'humains, un homme. Devant faire face à toute les pires épreuves que l'on vit de notre vivant sur notre planète. Son parcours étant tristement rythmé par la mort, entourant la moindre de ses actions. De sa fille à ses plus proches amis partageant son rêve d'exode. La tristesse et la peur venant constamment lui rappeler l'enjeu douloureux de son rêve, tant lui que sa famille en connaissant l'ampleur monumentale d'une telle entreprise tant elle remet en question notre place dans l'Univers entier et tant elle est si fragile que la moindre erreur de la taille d'une mouche peut réduire ses rêveurs en cendre. Rester sur Terre pour se contenter de vivre pleinement cloué au sol ou partir loin vers l'immensité incertaine de l'Espace, impitoyable et mortelle.
Une crainte représentée par la disparition tragique de l'entourage mais subtilement contrastée par la présence de Buzz Aldrin (Corey Stoll) totalement l'antithèse d'Armstrong. Bavard, plus franc mais moins intime, partageant pourtant la même ambition. Gardant les pieds sur Terre pour quand même s'élever là-haut. Le deuxième homme sur la Lune représente peu de temps à l'écran mais représente beaucoup par sa simple opposition à Armstrong. Le deuxième ayant une vision louable mais plus matérialiste, pensant à ramener un bijou à sa femme de là-bas, là où son comparse le premier y laissera ses tourments, comme si le voyage était réellement sans retour pour ce dernier.


Par son talent de l'image et de la compréhension humaine. Damien Chazelle retranscrit quelque chose d'à la fois simple et impossible à reconnaître aujourd'hui, comme il le faisait avec La La Land: le besoin d'une naïveté qui nous permet de croire puis de nous élever, quelque soit le moyen. Il rappelle que c'est quelque chose de rose mais qui a un lourd prix, c'est une question de détermination et de circonstance. La fin viendra nous questionner sur ce qui nous a amener à réaliser ce rêve. On ne pouvait amener meilleure conclusion pour cette épopée dont les années nous ont amené à sous-estimer l'ampleur, qui est, à le rappeler, le plus grand exploit que l'Humanité ait accomplie à ce jour, car il est la preuve même de sa capacité à se transcender.
Aujourd'hui, le Monde manque de Neil Armstrong qui a laissé sa place pour s'élever plus loin qu'il ne l'a jamais fait. Heureusement que des hommes comme Damien Chazelle sont là pour nous le rappeler.

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le 18 oct. 2018

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