Fenêtre sur cour est l’un des rares exercices de style (Regardez, je tente un truc difficile) objectivement réussi : un héros de thriller paralysé. Une jambe cassée, Jeff Jefferies (James Stewart), photoreporter et ancien pilote de chasse, se morfond. Sa fenêtre donnant sur la cour de l’immeuble, pour tromper son ennui, il épie ses voisins. Ces derniers nous deviennent familiers : la danseuse et ses exercices d’assouplissements, la femme seule et morose, les mariés de retour de voyage de noces, un couple d’originaux et leur chien, une malade et son ronchon de mari. Jefferies est un voyeur, certes, mais nous aussi. En quelques scènes silencieuses, nous découvrons le caractère de ses voisins, leurs joies et peines. Alors même que le photographe refuse de s’engager dans le mariage, Hitchcock, malicieusement, nous livre une série d’histoires d’amour, plus ou moins contrariées. Une nuit, les étranges allers-retours du bougon éveillent son instinct de journaliste. A-t-il assassiné son épouse ?


À son habitude, Stewart excelle dans ce rôle d’homme d’action… contraint à l’immobilité. Nul n’ignore, alors, que le colonel pilote James Stewart a accompli, dix ans plus tôt, une vingtaine de missions au-dessus d’Allemagne. La charmante et très sophistiquée Lisa Carol Fremont (Grace Kelly) vient troubler les soirées du solitaire, qui se refuse à l’épouser.


Quelques mots sur la forme :
- L’exposition du film est mémorable : la cour assoupie, le visage en sueur de Jefferies, sa jambe plâtrée, l’appareil de photo brisé et les clichés professionnels, l’image de l’accident : vingt secondes pour tout nous dire.
- Tourné exclusivement en studio, Fenêtre sur cour abuse du champ-contrechamp. Hitchcock s’amuse. Nous voyons son héros scruter à la jumelle ; nous découvrons ce qu’il voit ; puis constatons et (fatalement) interprétons sa réaction. S’il sourit après avoir contemplé la danseuse en déshabillé, c’est un signe de lubricité. La même mimique associée à un jeu d’enfant sera comprise différemment.


Le scénario est connu. Après avoir sorti ses lourdes valises, Lars Thorwald (Raymond Burr) nettoie consciencieusement, sous nos yeux, son appartement. Jefferies a l’intime conviction qu’il a occis sa femme. La belle Lisa et la concierge/infirmière partagent son avis. Thorwald s’apprête à fuir, la police refuse de les croire, que faire ? La tension monte. Le chien est tué. Sa maîtresse hurle sa détresse, pourquoi êtes-vous tous si indifférents ? Soudain, nous assistons à une inversion des valeurs : dans une société individualiste, le voyeur indélicat se mue en voisin attentif, le curieux indiscret en empathique. Lisa se montrera courageuse et gagnera le cœur du vieil aventurier. J’ai vu ce film trop jeune et suis resté durablement marqué par l’ultime : « Que voulez-vous de moi ? »


PS Le va-et-vient du chien autour du bac à fleurs m’est resté longtemps mystérieux. Hitchcock, prudent, laisse planer l’ambiguïté. Il semble que le tueur y avait dissimulé la tête du cadavre, les autres « pièces » ayant été jetées dans le fleuve.

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le 8 févr. 2017

Critique lue 645 fois

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Step de Boisse

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