Parmi les films qui ont tourné en boucle dans le magnétoscope de mon enfance, il fallait bien que je rende mon très humble hommage sur, selon mon opinion, l'un des plus grands films de tous les temps, et le plus grand film de Walt Disney.

Nous sommes en 1940. Les studios Disney, forts de dix-sept années d'expérience, ont acquis une certaine notoriété grâce à des classiques tels que Blanche-Neige et le sept nains ou alors Pinnochio. Le studio est en plein dans son premier âge d'or, qui prendra fin en 1941 avec une grève due au contexte international et aux résultats financiers peu encourageants.

L'œuvre est difficilement analysable dans son ensemble. L'exercice de la critique même s'avère une chose complexe, car le film est trop varié pour englober tous ces visages. N'étant pas critique professionnel et n'ayant absolument pas la culture nécessaire pour effectuer tous les rapprochements nécessaires, je me sens presque trop humble pour donner mon avis sur un tel chef-d'œuvre. Toutefois, à défaut de pouvoir la juger, je peux quand même inviter quiconque lirait ces paragraphes à voir ce film si ce n'est déjà fait, et à le revoir sinon, car selon moi ce film est le genre chose que l'on se doit d'avoir vu au moins une fois dans sa vie, et il fait partie de la culture mondiale au côté des plus grandes réalisations humaines (oui, je sais, je suis grandiloquent).

Le film est une succession de différents tableaux illustrant des œuvres de musique classiques plus ou moins connues. L'on y rencontrera ainsi notamment des œuvres de Bach, Beethoven, Moussorgski. Les morceaux sont mis en image par différents styles visuels et narratifs, tantôt l'illustration portant la musique, tantôt la musique portant l'illustration.

Le film commence sur une version orchestrée de la toccata et fugue de Bach. Le tableau est mis en images abstraites, représentant des courbes, des formes et des volutes qui s'entrevêchent en un ballet enchanteur. Une parfaite introduction, qui tient plus de la démonstration technique et artistique des studios Disney que de la mise en avant d'un pitch déterminé : l'art pour l'art. Un bon point pour commencer. Et une excellente manière, à mon sens, d'apprécier et de faire apprécier la musique de Bach qui est somme toute difficile, par un public large.

On enchaîne sur ma partie préférée, différentes partie de Casse-Noisettes de Tchaïkovski. Le tableau accompagne le ballet au travers d'une illustration très réussie des quatre saisons, dont la succession est orchestrée par des fées. Un enchantement pour les yeux, l'interprétation de la "Danse arabe" est un des moments les plus forts du film, tandis que la danse chinoise (avec les champignons) restera dans les annales de l'histoire de l'animation. Les autres parties sont également une belle réussite où la poésie rivalise avec une esthétique fluide et colorée, on sent le perfectionnisme des studios et le brio avec lequel ils utilisent les technologies mises à leur disposition.

Le tableau suivant, l'Apprenti Sorcier de Paul Dukas, prend une dimension beaucoup plus narrative, mettant en scène les mésaventures de la mascotte du studio sur le fond d'une haletante ritournelle. La musique est illustrée avec brio (bien que l'on puisse dire l'inverse) et les petites touches de poésie (les volutes de fumée de Yensid) et de création (une armée de balais ffs !) ponctuent admirablement les déconvenues de notre apprenti sorcier. La morale mise en avant ici me paraît quelque peu rétrograde (ne cherche pas à maîtriser des forces qui te dépassent, reste à ta place et obéis à l'autorité) et vient ternir ce passage au demeurant très plaisant.

Le morceau suivant est le seul dont l'auteur était vivant à la sortie du film ; ainsi, le Sacre du Printemps, de Stravinski, est mis en scène par la naissance de la Terre et de la vie, des combats de dinosaures précèdent leur disparition, et enfin avant la surrection de montagnes. Pour l'avoir vu avec une ex qui était géologue, son commentaire sur ce passage est "that is freaky accurate !". Encore une fois, on ne peut qu'être baba devant la créativité des artistes du studio pour adapter une musique aussi... changeante. Bizarrement, cela colle parfaitement aux images... vous vous rappelez des documentaires vidéo que votre professeur de Sciences de la Vie et de la Terre passait dans la classe au lycée ? Ces images glauques avec, en fond, une musique type new wave immonde digne du plus scabreux des films X ? Ben m'est avis qu'on aurait très bien pu y foutre plutôt le sacre du Printemps. Enfin je divague. Pour résumer, un tableau d'une grande qualité, n'ayant peut-être pas sa place dans mes goûts personnels mais bon, certains moments restent indéniablement inoubliables (le combat avec le T-Rex, l'harassante marche sous la sécheresse de la fin, les scènes de chasse et de "vie quotidienne"...)

Un petit intermède vient ponctuer la succession des séquences, avec l'introduction de la "piste sonore". Une ligne se déforme et se colore au gré de l'intervention de quelques instruments dans l'orchestre. Cette mise en image (littérale) d'échantillons sonores se révèle une expérimentation parfaitement réussie, intermède distrayant et qui stimule les sens d'une manière pas forcément conventionnelle. A force d'avoir visionné des dizaines de fois ce film, je peux vous assurer que cette partie a modifié à vie mon inconscient, et je ne peux m'empêcher, même aujourd'hui, de continuer à visionner les formes et les couleurs de cette fichue ligne quand j'entends des instuments. Cette séquence me rappelle le rat du film Rataouille, au début, lorsque les sensations qu'il éprouve à manger du fromage et une fraise sont si bien mis en images par des volutes colorées et volatiles. La créativité pure d'un média où seuls le son et l'image peuvent être diffusés.

Le tableau suivant, nous invite à batifoller avec quelques mièvrerires gréco-romaines sous les accords de la merveilleuse symphonie pastorale de Beethoven. Le ton prude et niais, du à la censure de l'époque, peut parfois s'avérer agaçant. Cela rassure, d'un autre côté, le kawaiiiiiiiiii n'est pas un phénomène récent. On a donc des centaures qui copulent juste en se regardant, un bacchus qui est un gros boulet et qu'on a envie de gifler, des poneys volants, des gens qui boivent des arc-en-ciel et un zeus qui fait des orages rien qu'en loufant. C'est toutefois cette séquence qui m'a fait tant aimer cette fameuse symphonie. Tout cela a mal veilli mais la musique, elle, reste intemporelle.

L'illustration de la Danse des heures, de Ponchielli, est peut-être la séquence qui sera la plus représentative du film... en tout cas celle qui sera la plus retenue, tout comme notre fameux Mickey coiffé de son si phallique chapeau bleu. C'est littérallement un ballet qui se déroule sous nos yeux incrédules, au rythme d'un opéra dont les mouvements divers mettent en avant plusieurs groupes animaux qui se rejoignent à la fin dans un final fracassant, où le barrage en couille se dispute au wtf. Cela est nouvelle fois l'occasion de caler, en douceur et quelque fois en force, quelques éléments d'une rare poésie. C'est un moment où des crocodiles soulèvent des éléphants, où des éléphants se coincent dans leurs bulles et volent (merci pour Dumbo qui pompe allégrement le concept dans le film éponyme), où les hippopotames se foutent en tutu et où les cous des autruches laissent imaginer des séquences de gorge profonde torrides (hum.). Le tout se laisse regarder avec plaisir, et les accents de la musique sont encore une fois très bien imagés. Il faut, encore fois, faire preuve d'une renversante créativité et audace pour faire des éléphants, des crocodiles, des autruches et des hippopotames rivaliser de grâce et de virtuosité.

La dernire partie, enfin, sépare deux morceaux dont l'opposition est telle qu'ils se complètent parfaitement ; ainsi, l'intensité du film atteint son acmé avec une Nuit sur le Mont Chauve, de Moussorgski, au travers de l'évocation d'une glaçante nuit de Sabbat. La réorchestration de Stokowski colle parfaitement à une mise en image très fortes d'un démon, siégeant sur le sommet d'une montagne au pied de laquelle se trouve un petit village. Une fois la nuit tombée, le démon se réveille et convie des esprits tourmentés des environs dans une danse endiablée. Les pires créatures, harpies, ankous, fantômes, esprits, satyres, dont l'esthétique et la diversité donnent le tourni, se succèdent alors au rythme des accords de la musique, pour un ballet mortuaire particulièrement réussi. La terifiante icône diabolique du démon, qui contrôle tout ce petit monde, fait vivre au spectateur un spectacle de danse et de tourbillons d'une très grande intensité, mené avec brio par les animateurs des studios. Au summum de la fête, où le démon crée et détruit à loisir des créatures auprès d'un gouffre enflammé, au creux de sa main, les premières heures du jour sont sonnées par le clocher du village, interrompant brutalement le spectacle. Chaque coup de cloche arrive comme une libération, portant des coups d'arrêt aux créatures que rien ne semblait effayer. S'y succède alors le dernier tableau, arrivant comme une libération après tant d'intensité, un instant d'apsenteur, de grâce, délivré de tout rythme, de tout danger, de toute contrainte ; une procession de pélerins, tenant une bougie, chemine alors sur des plans qui défilent lentement sur l'axe horizontal, avec une magnifique version de l'Ave Maria de Schubert. Le style devient alors contemplatif, serein, dépouillé, lent et roman. Cette mise en contraste est tout simplement éprouvante, et particulièrement réussie.

La fin va jusq'au bout de la notion de dépouillement, les musiciens quittent le plateau, sans un mot, sans une couleur, sans un visage ni un bravo. Les profils qui nous ont accompagnés s'en vont comme ils sont arrivés, dans la sobriété la plus complète.

Le puriste pourra reprocher au film, notamment, le troncage des morceaux, quelque fois une réorchestration peu fidèle... Mais on devrait plutôt voir ce film comme une formidable tentative de vulgarisation d'une musique peu accessible, surtout aux jeunes oreilles, et qu'il permet à ce genre de public de découvrir en douceur ces oeuvres et de se forger un bon début de culture musicale.

Personnellement, je dois à ce film mes premières expériences psychédéliques, mes premières oeuvres classiques, mes premiers exercices de style, mes premières rêveries (en tout cas celles qui remontent le plus loin dans ma mémoire). Je ne remercierai jamais assez mes parents d'avoir choisi ce film plutôt qu'un autre à Noël.

Je ne peux que le conseiller, le re-conseiller, l'aduler, et l'encenser auprès de mon entourage tel un fanboy aveugle insupportable. Je ne vois pas pourquoi j'aurai fait l'impasse sur Sens Critique.
crash
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le 24 nov. 2010

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