Everest: le blockbuster anti-Spielbergien !

J'avais consacré un article plutôt virulent au film, vu son trailer exagérément aguicheur et porté sur le grand-spectacle. Par conséquent, comme la plupart de ceux qui iront voir EVEREST, je m’attendais à un film précis: à grand renforts d’effets spéciaux et d’émotion, un récit d’héroïsme et de camaraderie, plein d’un suspens bon marché. Un Vertical Limit bis quoi. Classique.


Bah non. EVEREST, c’est tout l’inverse. Un film réaliste et immersif où il n’y a pas de héros mais des Hommes lambdas, avides de tester leur limites. Un film ou le suspens et le spectacle tiennent moins de recettes hollywoodiennes d’entertainment que d’un constant effet de vertige (EVEREST est d’ailleurs à voir absolument en 3D, et en Imax si possible), et d’un fantastique rapport d’échelles constamment jeté à notre figure (Homme VS Everest, 8848m). Un film où l’émotion n’est pas placée dans un rapport à l’empathie mais dans un constat très pragmatique des limites personnelles et physiques des personnages. En somme: un blockbuster anti-Spielbergien. Explications.


EVEREST se divise cela dit, en deux parties. L’avant ascension (1h15), et l’ascension elle même (35min). Rapidement cataloguée par la presse comme chiante et longue, la première partie pourrait pourtant se définir par un terme bien plus adéquat, souvent d’ailleurs, utilisé dans le film: l‘acclimatation.
Un passage obligé avant de grimper l’Everest, puisqu’il permet au corps de se préparer aux différents changements pouvant altérer sa bonne santé (pression atmosphérique, volume d’air, température, climat) mais qui a pourtant plus de sens différents que le simple bouleversement physique.
Cette acclimatation pourtant, n’est pas que biologique. Elle est également culturelle, mystique, et humaine. Il faut d’abord s’immerger dans la culture tibétaine, apprendre à respecter ses habitants et leur culture/religion. Ce respect permettra de préparer son esprit à l’aventure, via une nécessaire humilité face à l’immensité de cette nature. Là, l’entrainement physique est important (à base d’allers-retours entre camps et altitudes), mais un rapport de confiance doit également s’installer entre ces hommes et femmes. Il doivent apprendre à se connaître, comprendre leurs différentes motivations, évaluer quelles actions nécessiteront quelles réactions lorsque viendra le moment de prendre les bonnes décisions. Les différents interprètes de ces aventuriers sont, comme je le pensais, effectivement en mode « interchangeables »… Mais il ne s’agit pas de sous-jeu typique du blockbuster trop rempli de superstars pour permettre à l’un ou l’autre de se démarquer… Il s’agit plutôt d’accentuer l’aspect « chacun est égal face au défi, face à la nature, face à la douleur ». Simple, mais très convaincant.


Cette immersion dans la préparation et le mental est donc montrée avec patience et précision. Baltasar Kormákur n’exagère durant cette longue première partie, aucun effet, aucune tragédie, aucune personnalité. Le réalisateur est pleinement conscient que le réalisme d’une situation EST également une forme de spectacle.
Vient donc ensuite le fameux « spectacle », terme qui nécessite d’être (re)défini.
Pour moi, le summum du spectacle cinématographique, c’est Steven Spielberg. Pour énormément simplifier, ce que j’aime chez lui c’est cet enchaînement: créer l’empathie envers ses personnages, empathie qui fera ressentir un certain suspens, suspens qui décuple l’effet de spectacle. Le tout, portée par une mise en scène léchée, et un dosage du rythme au taquet.
Dans le film de Baltasar Kormákur, la recherche du réalisme favorise l’immersion, tant dans un décor – magnifiquement filmé, dépaysant autant qu’étouffant – que dans un état d’esprit: celui d’affronter un ennemi quasi-invincible (1h15min). Cette immersion nous prépare donc au danger de l’expédition, ou l’on pourrait appeler spectacle les quelques instants ou l’Homme est confronté à la nature (pas longtemps: 20 min à tout péter). Les réactions face à ce danger montreront les limites et dépassements de chacun, de quoi naîtra une certaine empathie (15 min).
Voilà: tout l’inverse d’un Spielberg, et de la recette du blockbuster qu’il a lui-même initié. C’est aussi stimulant que déstabilisant.
EVEREST s’en tiendra donc au faits (d’ailleurs pour les spoilers, RDV sur la page wiki dédiée). Le film nous fera tout de même ressentir quelles implications poussent untel ou untel à se surpasser, sachant pertinemment les risques encourus. Il montrera ainsi tout ce que la réalité peut avoir d’aléatoire, (humainement et naturellement) quitte à ne correspondre à rien d’envisageable.


Il a été beaucoup dit, sans doute par souci de simplification:
« EVEREST, il ne s’y passe rien pendant une heure puis ça commence ENFIN… avant de retomber. Bref c’est un peu spectaculaire, mais surtout chiant »…
On peut le voir différemment: EVEREST propose une nouvelle conception du blockbuster… Anti-spectaculaire, humain, réaliste, immersif et même empathique, in fine.


Critique par Georgeslechameau, pour Le Blog du Cinéma

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le 23 sept. 2015

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